Dans ce blog, nous avons décidé de porter le débat au fond, sur toutes les questions, d’affronter les stéréotypes les mieux établis, parce qu’il nous parait urgent de transformer la société et pour cela d’ouvrir un dialogue internationaliste sans tabou. Il s’agit de changer l’imprécation en analyse et de considérer LES FAITS. Ce texte, traduit du russe par Marianne à partir d’un site de gauche très peu conformiste, pose une question très controversée: qu’est ce que le système de crédit social instauré en Chine ? Et au-delà il s’agit une fois de plus d’interroger la doxa occidentale, la Chine serait capitaliste mais totalitaire communiste? (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop pour Histoireetsociete)
https://svpressa.ru/society/article/286571/
Des récits horrifiés sur le système chinois de «crédit social», ou «cote sociale», apparaissent régulièrement dans la presse bourgeoise et la blogosphère. Ce programme, lancé en 2014, prévoit la prise en compte des actions positives et négatives des citoyens chinois et le cumul des points correspondants pour aboutir à une note individuelle des citoyens. L’objectif proclamé est de soutenir la «sincérité», ainsi que de construire le socialisme chinois développé et le communisme chinois. En Occident, le système a été surnommé “camp de concentration numérique totalitaire communiste” ; sur la base de la “cote sociale” Netflix a filmé quelques épisodes de “Black Mirror”.
Toutes les tendances imposées et obsessionnelles de la presse bourgeoise et de la blogosphère sont toujours des mensonges, des provocations et de la propagande. Surtout à propos de la Chine, qui est comme un os dans la gorge du “seul concept correct de capitalisme de marché démocratique qui a conquis le monde entier”. L’existence même de la Chine réfute la propagande bourgeoise. Les apologistes de la «fin de l’histoire» tombent dans l’hystérie et s’enferment dans des paradoxes. Dès qu’on leur rappelle les succès étonnants de l’économie socialiste chinoise, ils se mettent à crier qu’il n’y a pas de socialisme en Chine et que toute l’économie est capitaliste, et donc prospère. Vous demandez: cela signifie-t-il que la Chine est un État démocratique de marché progressiste? Non, totalitaire et communiste! Pourquoi le capitalisme triomphant n’a-t-il pas transformé la société chinoise en une démocratie de style occidental? N’est-ce pas ce qu’ils enseignent dans les manuels de Soros? De nouvelles imprécations tiennent lieu d’arguments.
Une grande partie des “nouvelles” sur le “camp de concentration numérique” chinois se révèle être juste des faux. Le système de «notation sociale» ne prévoit aucun contrôle total particulier, l’utilisation du Big Data et la surveillance des citoyens. Cela ressemble plus à un “conseil d’honneur” numérique intégré à des listes noires. Mais ce n’est pas là le problème. Le problème est que le même système de «crédit social» existe déjà dans tous les pays depuis des milliers d’années. Cela s’appelle… l’argent.
L’argent dans un monde idéal n’est-il pas une mesure numérique de la cote sociale et du crédit social d’une personne? Dans un monde monétaire idéal, une personne n’a-t-elle pas plus d’argent dans la mesure où elle a fait plus du bien aux autres et à la société? N’est-ce pas ainsi que les riches imaginent l’idéologie de l’argent? Les riches ne disent-ils pas: j’ai beaucoup d’argent parce que je suis très intelligent, j’ai travaillé dur et j’ai apporté beaucoup d’avantages à la société? Et vous vous avez peu d’argent parce que vous êtes paresseux et idiot? Quelle est la différence avec le «crédit social»?
Peut-être seulement dans le fait que dans le monde réel, comme nous le savons tous, beaucoup d’argent peut se retrouver entre les mains d’une personne qui n’apporte aucun avantage ou apporte beaucoup de mal, comme un banquier ou un trafiquant de drogue. Et on soupçonne qu’une telle situation n’est pas une sorte d ‘«erreur accidentelle», mais, au contraire, une régularité systémique associée à la nature même de l’argent en tant qu’aliénation de la personnalité et signe anonymisé de «crédit social» volé à la société et privatisé par les exploiteurs. Nous oublions tous constamment la nature conventionnelle de l’argent, nous ne pensons pas à l’argent comme un signe de crédit, mais comme un objet matériel, presque une ressource naturelle, distribué directement selon la providence divine. Et les communistes chinois s’en sont souvenus. Et ils ont décidé de ne pas encore annuler l’argent, mais de corriger les erreurs du système monétaire en ajoutant la réalité du «crédit social».
Oui, en raison d’une faible «cote sociale», les Chinois peuvent se voir refuser d’acheter un billet d’avion ou même de louer un vélo. C’est horrible! Et à cause du manque d’argent, un Russe peut se voir refuser une miche de pain et une bouteille de lait dans un magasin. En raison d’une faible «cote», c’est-à-dire d’une somme d’argent insuffisante sur le compte bancaire, une personne dans tout pays capitaliste ne se verra pas vendre un appartement normal nécessaire à la vie de sa famille, tandis que d’autres personnes, disposant d’un grand compte bancaire, achètent d’immenses appartements, et même des immeubles, bien qu’il n’y ait pas autant de personnes dans leur famille et de personnes pour vivre partout. Cela ne nous effraie pas ou ne nous surprend-il pas? Il est étrange que cela ne nous effraie ni ne nous surprenne.
Et voici une autre chose. “Des listes noires”, dites-vous? N’existe-t-il pas de telles listes en Russie? Et la base de données des services d’huissiers? Plusieurs millions de citoyens russes ne sont-ils pas empêchés de voyager à l’étranger et d’autres droits en raison de prêts en souffrance? Et qu’en est-il du bureau de crédit? Qu’en est-il de la base de données des condamnations et des délinquances? Et toutes les bases de données, même gouvernementales ou confidentielles, qui, d’une manière ou d’une autre, finissent toujours par être vendues? Essayez de trouver un emploi dans une grande entreprise, et la «sécurité» vous vérifiera sur plusieurs «bases» et «listes noires» légales et illégales avant de convenir de votre prochain entretien avec le service des ressources humaines. Et il existe aussi des «listes noires» de l’inspection fiscale, limitant les «actions d’enregistrement», c’est-à-dire l’activité entrepreneuriale, sans décision de justice, bien qu’il n’y ait pas d’acte juridique établissant de telles restrictions.
Voilà pour la Russie. Est-ce mieux dans les démocraties occidentales? En quel honneur?C ’est exactement pareil. Et pour eux-mêmes et pour les autres. Tant pour des raisons économiques que pour des raisons politiques. Une fois, je suis allé à Tallinn pour donner une conférence sur la littérature russe, et après de nombreuses années, je suis toujours dans les bases estoniennes en tant que «persona non grata». De l’avis des militaires estoniens, les lettres russes «constituent une menace pour un ou plusieurs pays de l’Union européenne».
En général, la digitalisation du contrôle social est une tendance objective et inévitable. Mais dans les États capitalistes, elle sera utilisée pour protéger les intérêts de la classe dirigeante, et la pire «mauvaise réputation» a toujours été et sera toujours la pauvreté. Tandis que dans les États populaires, la numérisation est mise au service du peuple et de l’État. La numérisation n’est ni mauvaise ni bonne. Ce n’est qu’un outil. Vous pouvez tuer une personne avec un couteau ou couper du pain et du fromage pour nourrir les affamés.
Et quelques points supplémentaires méritent d’être soulignés à propos de l’introduction du système de «notation sociale» en République populaire de Chine.
La Chine résout ses propres problèmes spécifiques avec ses propres méthodes spécifiques. Vous ne pourrez pas «copier l’expérience». Le nouveau système est parfaitement combiné avec l’ancienne tradition confucéenne chinoise, c’est comme une sorte de “confucianisme numérique”. Nos traditions sont différentes. La Russie a ses avantages, mais ils se situent sur un plan différent.
Un point important sur lequel des points sont attribués ou retirés en Chine est «prendre soin des parents âgés». En raison de la politique passée de restriction du taux de natalité dans la Chine moderne, une situation s’est développée où deux, trois ou quatre personnes âgées peuvent être à la charge d’un adulte. Les évaluations encouragent une attitude responsable envers le rôle social de prendre soin de ses parents plus âgés. Il s’agit d’un complément important au système des retraites, qui se développe et s’améliore également dans la Chine moderne.
Il n’y a rien de nouveau à apprécier l’individu du point de vue de la société. Cela s’appelait autrefois “réputation”. Et bien sûr, de la réputation dépendent beaucoup de choses : embauche, logement, prêts, etc. La seule différence est que l’accumulation de points de «réputation» est désormais officialisée. Et dans des conditions où une personne ne vit pas dans une communauté villageoise, où tout le monde se connaît, mais dans un pays avec un milliard d’habitants, la réputation lui est “collée” avec une cote numérique. C’est peut-être une décision imparfaite. Mais il s’agit au moins d’une sorte de décision managériale visant à assurer une politique des cadres basée sur la méritocratie, et non sur un système pathétique de liens personnels, familiaux et adultérins.
Les défis de gestion auxquels la Chine est confrontée sont formidables. Notre population est plusieurs fois plus petite, alors qu’il y a plusieurs fois plus de ressources, et nos ambitions sont beaucoup plus modestes. Mais même avec des tâches de gestion beaucoup plus modestes, notre système administratif, criblé de corruption et de népotisme, a bien plus de mal à faire face que le chinois avec ses enjeux de niveau mondial et cosmique. Alors que nous pourrions. Nous pourrions être plus forts et meilleurs. Si seulement nous abandonnions enfin le népotisme au profit de la méritocratie.
Au lieu de hurler, de rouler des yeux, de feindre la peur devant le «camp de concentration numérique» et le totalitarisme communiste.
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Pierre Nouzier
Étrange article. Il se réfère à la situation russe, au contentieux russo-balte. Quant aux pays occidentaux, il ne nous faudrait pas ignorer les critiques qui s’y développent sur le numérique en général (ex. Alain Supiot, La gouvernance par les nombres, Bernard Stiegler, et bien d’autres). Vous parlez de doxa, or il me semble que G.Sadoulaev admet sans trop barguigner une certaine doxa managériale : “la digitalisation du contrôle social est une tendance objective et inévitable “. En Chine, “la numérisation est mise au service du peuple et de l’État”. Désolé, le peuple et l’État, fût-il socialiste, ce n’est pas la même chose. Bref, le débat continue … Bien cordialement. Pierre.