Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Les staliniens auraient tort de s’imaginer qu’ils commanderont le peloton d’exécution

Ce texte féroce d’un anti-communiste primaire russe nous a plongé Marianne et moi dans l’hilarité, parce qu’il est tout à fait représentatif des échanges russes sur le communisme… En gros tout le monde est à peu près d’accord sur l’idée que les antistaliniens à la botte de l’occident sont méprisables, mais d’autres comme ici font remarquer que les staliniens d’aujourd’hui sont des grandes gueules incapables de discipline … Son auteur s’adresse à ceux qui massivement en appellent aux mannes de Staline pour restaurer la justice sociale et redonner la dignité perdue. Le chauffeur de taxi avec le portrait de Staline n’est pas une fiction, nous en avons rencontré de multiples versions. Je me souviens encore de celui à qui nous avons dit que nous pensions en Occident que Staline c’était Hitler et que Poutine c’était Staline. Il était stupéfait et il a simplement répondu : “Poutine n’est pas Staline, lui il aurait viré tous les oligarques”. Bref ce texte que nous aurions en France, tendance à prendre au pied de la lettre est une sorte de plaisanterie courante entre Russes. Un peu à la manière dont je ne cesse moi-même de dire que j’aurais été une des premières victimes du stalinisme, non de Staline lui même qui n’aurait rien su de mon triste sort, mais de l’un de ses lieutenants les plus zélés, qui mènerait plus tard la déstalinisation et jouirait d’un poste du à sa trahison, en dénonçant “les crimes de Staline”. Quant à moi, intellectuelle, juive, incorruptible, toutes caractéristiques me vouant à la répression, le goulag eut été mon sort. Avant et après la déstalinisation. Ceux qui ont vécu cela et qui se sont sacrifiés dans l’exaltation ont connu à partir de 1963 de longues années de disqualification de leur sacrifice. Quand le metteur en scène Kontchalovski dit que l’occident ne peut pas comprendre son film “chers camarades” il n’a pas tort… L’occident ne peut pas comprendre que pour lui c’est Khrouchtchev l’imbécile irresponsable. traduit par Marianne Dunlop pour Histoire et société.

https://vz.ru/opinions/2020/12/23/1077129.html
Dmitry Grunyushkin
écrivain
23 décembre 2020

Chaque année à la fin du mois de décembre, la même chose se produit sur les réseaux sociaux. On y voit fleurir drapeaux rouges et étoiles, au milieu desquels le meilleur ami des enfants et des athlètes à la moustache fournie nous regarde. C’est l’anniversaire du chef!

Il ne sert à rien de parler de la grandeur de Staline et de la contribution de Joseph Vissarionovich à l’histoire de la Russie. Les opinions sur lui sont diamétralement opposées et les jugements diffèrent à l’extrême. Soit il est une goule sanguinaire, soit le plus grand génie envoyé en Russie par le Ciel. Et si vous essayez seulement, en raisonnant posément, de dire qu’il était, curieusement, les deux, alors vous ne recevrez que de la haine des deux côtés.

Et donc, je voudrais parler d’autre chose. Des gens qui l’idolâtrent et aspirent à une main de fer, la seule qui pourrait nous sauver de la domination des escrocs, des libéraux et autres ennemis du peuple, et finalement nous conduire tout droit vers un avenir radieux.

J’ai toujours été surpris et même alarmé par les membres de la «secte de Saint-Joseph». Les staliniens me font encore plus peur que les antistaliniens. Avec ceux-là, tout est clair – ils ont peur. C’est la mémoire génétique. En effet, si vous y regardez de plus près, il y a de façon suspecte de nombreux descendants de «victimes de la deuxième vague de répression» parmi les antistaliniens. Autrement dit, ceux qui ont eux-mêmes servi le régime en leur âme et conscience, puis ont été nettoyés avec un nouveau balai. Ce sont les critiques les plus ardents de Staline. Mais à quoi rêvent ceux qui aspirent au retour du Leader?

Dans l’Évangile du Bourreau des frères Vaïner il y a une scène fantastique. Je vais vous la raconter à ma façon. Le personnage principal du livre, lui-même ancien NKVD, monte dans un taxi où il y a une photo de Staline fixée au pare-brise. C’était à la mode dans les années 70 et 80. Le héros demande au chauffeur de taxi: c’est quoi ça ? Et le chauffeur répond: cet homme avait raison, il y avait de l’ordre avec lui, et quiconque était hors des clous, on le rappelait à l’ordre. Et là, le héros du livre a dit quelque chose qui m’a fait réfléchir. Il a dit simplement au chauffeur: comprenez-vous que si le chef revenait, vous seriez parmi les premiers à être rappelés à l’ordre? Pourquoi? Mais parce que vous êtes contre l’ordre avec cette photo, vous vous opposez, profitant de l’impunité et de la liberté, alors qu’avec lui vous auriez été écrasés dans la poussière des camps pour une telle chose.

Supporters of communist party carry portraits of Soviet leader Josef Stalin after laying flowers at his grave to mark the 141st anniversary of his birth in Moscow’s Red Square, Russia, Monday, Dec. 21, 2020. (AP Photo/Alexander Zemlianichenko)
Photo: Alexander Zemlianichenko / AP / TASS

Pas pour une photo de Staline, bien sûr, mais pour le mépris de l’ordre. Un mépris ostentatoire en plus. L’équivalent du portrait de Staline sur le pare-brise dans les années 70 sous le règne de Koba eut été un portrait de Trotski. Que croyez-vous, il aurait roulé longtemps avec ça votre chauffeur des années 40?

La fronde ostentatoire est justement un signe de liberté. Comme le drapeau confédéré sur les voitures aux États-Unis. La démonstration du fait que vous êtes contre le régime actuel, et ne craignez pas que pour cela ils vous fassent les pires ennuis. Mais sous le régime sévère auquel aspirent les staliniens en chambre, ils seront les premiers réprimés, car ils ont l’habitude de protester contre le régime. Voilà le hic, comme aurait dit un autre dirigeant soviétique, devenu plus tard notre président.

Des gens qui pour un oui pour un non postent sur les réseaux sociaux des « selfies» avec le chef et l’ordre de «fusiller» – pour une raison futile, ils sont on ne sait pourquoi persuadés que si leurs rêves chéris se réalisaient, ils finiraient dans un peloton d’exécution. Ou peut-être même qu’ils commanderont l’exécution. Il ne leur vient jamais à l’esprit qu’ils pourraient tout bêtement être de l’autre côté de la ligne de feu. Mais neuf sur dix d’entre eux passent des heures sur Facebook ou VKontakte [le Facebook russe, NdT] pendant leur journée de travail, ce qui en des temps « anciens, maintenant presque légendaires » aurait été, pour le moins, répréhensible. Je garderai le silence sur le travail au noir, l’évasion fiscale, les revenus illicites, qui à cette époque étaient généralement un billet garanti pour le camp, et pas du tout un camp de pionniers. Nous en avons beaucoup de ces saints qui vivent d’honneur et de conscience et qui n’ont jamais trompé l’État? Le concept «d’honneur et de conscience» n’est pas sélectif. Ils existent ou ils n’existent pas. On ne peut pas être presque honnête de la même façon qu’il est impossible d’être un petit peu enceinte.

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Quelque part la nostalgie de cette époque rappelle le “croustillement du croissant français”. Selon le document le plus précis sur la composition de la population de l’empire à la date de 1897, à savoir le recensement, le nombre de nobles y était de … 1,5%. Cependant les amateurs de romances, éblouis par une époque où tout n’était que «bals, beautés, laquais, cadets», croient dur comme fer que s’ils avaient vécu en 1913, ils auraient certainement été des princes Golitsyne ou comtes Obolensky, et non les paysans Efimov du village de Nedorody dans la province de Smolensk. Personne ne pense qu’il aurait été fouetté à l’écurie le samedi à l’époque de Pouchkine. Tout le monde croit qu’il aurait brillé dans les salons sur les bords de la Neva. De même, les admirateurs de Staline se voient comme des gars à la mine sombre en veste de cuir, pistolet à la ceinture, menant les escrocs tremblants par le bras. Mais personne n’a envie d’essayer sur lui-même la veste matelassée des camps, la chemise du paysan de la Volga à moitié mort de faim ou le caban du travailleur de choc de Sormovo. Or c’était la majorité.

La légende raconte qu’après la mort du chef, seule une veste et une collection de pipes ont été retrouvées dans ses biens personnels. Telle est la vie des hommes intègres. Mais vous, camarades avec vos cartes de vœux, avez-vous pensé à ce que les gens payaient à cette époque incroyable pour l’intensité des passions? Les grandes réalisations, DneproGUES, les pommiers sur Mars, tous sur la même ligne, épaule contre épaule! Tout cela est enthousiasmant et excite l’imagination.

Mais la principale chose à retenir lorsque vous regardez ces visages aux yeux brillants tournés vers l’avenir dans les images de la chronique et sur les affiches: toute leur vie est un sacrifice. Ils ont sacrifié tout ce qu’ils pouvaient avoir et ce que vous avez. Aspirez-vous à ces temps simples et honnêtes? Êtes-vous prêts pour cela pour échanger votre F3 contre une roulotte sur le BAM [chantier du nouveau transsibérien Baïkal-Amour à l’époque de Brejnev, NdT]? Êtes-vous prêts à renoncer à vos Toyota et Logane à crédit pour des tramways mal chauffés? Êtes-vous prêts à rester debout devant votre machine-outil au lieu d’une chaise douce au bureau? Pensez-vous au fait que la cellule de quartier observera strictement votre vie personnelle et qu’un divorce banal peut vous coûter votre carrière? Et le mot même «carrière» sera quelque chose d’indécent, parce qu’une personne honnête doit travailler pour le bien de la Patrie et subordonner ses intérêts personnels aux intérêts publics. Et le fait n’est pas qu’il y avait moins d’avantages à l’époque, mais qu’eux, ces gens qui vivaient sous Staline, ces avantages ils les refusaient. Ils refusaient volontairement pour que le pays soit rempli de force. Et ceux qui «vivaient pour eux-mêmes» étaient méprisés. Et si vous voulez revenir à une telle époque, vous devez comprendre que non seulement les fonctionnaires qui ont volé des millions devront se sacrifier. Mais tout le monde. Et vous le premier. Parce que les sacrifices commencent en bas.

Autres documents de l’auteur

Une main ferme, entre autres, signifie que tout sera décidé pour vous. Et ceux qui se rebelleront seront étranglés par cette main ferme, voire frappés sur le dessus de la tête avec une massue. L’enseignement supérieur gratuit n’est pas un cadeau. Cela signifiait qu’après l’obtention du diplôme, vous alliez là où on disait et vous travailliez sans avoir la possibilité de choisir votre métier. Et vous faisiez le service militaire dans tous les cas, et ceux qui tentaient de s’y soustraire recevaient une condamnation et le mépris de la société.

En outre, il ne faut pas oublier l’omnipotence des «organes». La main de fer ce n’est pas seulement Volga-Volga et la Vachère et le Berger [films célèbres, NdT]. Ce sont les cahiers de la Kolyma. Cela fait partie du menu. En voulant l’entrée, vous devez comprendre qu’il y aura le plat principal. Et une compote pour dessert.

C’est çà la dialectique, camarades.

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1 Commentaire

  • Danielle Bleitrach
    Danielle Bleitrach

    d’après ce que me dit marianne, l’article paru dans une revue en ligne Glad plutôt pro-Poutine a donné lieu à 280 commentaires, la quasi totalité s’en prenant à l’auteur . Elle m’en a traduit deux des plus représentatifs. Il y en a d’autres qui sont délirant, par exemple les antisémites qui le félicitent d’avoir débarrassé le pays des révolutionnaires juifs , soit même il y en a un qui sort un faux testament de Staline auquel il croit dur comme fer dans lequel Staline expliquerait qu’il faut en finir avec le communisme et restaurer la sainte russie orthodoxe… Mais en règle générale, la tonalité est celle de ces trois comentaires.

    1. La seule chose que l’auteur n’a pas ajoutée, c’est à quel point nous vivons maintenant une époque formidable par rapport à celle qu’il décrit – si vous voulez vendre votre mère patrie, si vous voulez détourner l’argent public allez-y… et vous vous en tirerez avec pratiquement rien….

    Ce n’est que sous Staline et l’Unionsoviétique que la population a augmenté, et maintenant elle diminue – cela signifie qu’avec le temps le pays va disparaître … Mais l’auteur ne s’en soucie pas. L’essentiel est d’avoir des prêts pour une voiture et des vacances en Turquie…

    2. À en juger par l’opus de l’auteur, il a terriblement peur de Staline, bien que je sois tourmenté par de vagues doutes quant à savoir s’il est un descendant de ceux qui écrivaient des dénonciations au NKVD. Ils ont retourné leur veste maintenant !

    3. Encore des conneries !!! Quelle secte de Saint-Joseph, avez-vous été libéré de l’hôpital avant terme ? !! Il n’y a pas de culte de Staline, juste des gens qui respectent l’homme qui a sauvé et recréé le pays, toutes les usines, les branches de la science, toutes les industries ont été créées sous lui et nous les utilisons encore !

    Et puis cette intimidation – sous Staline, vous seriez là et pourquoi voulez-vous y aller ! Personne ne veut y aller, tout le monde vit maintenant, ne déformez pas les choses !

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