Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quand la génération Mao prend sa retraite. Trois questions à Justine Rochot

Merci à Baran d’avoir découvert ce petit sujet qui remonte le moral et que je dédie à toutes les grands-mères entre exploitation assumée et désir de vivre… A toi Maria en particulier, sache que moi aussi j’ai préparé un kilo d’énormes gambas à l’armoricaine pour enfants, petits-enfants, qui n’en avaient jamais mangé de cette taille et dans cette sauce qu’ils ont jugée aussi raffinée et exotique que moi (propos de ce matin). Moi volontairement je suis restée seule et après avoir fait mon rituel du feu, et bu deux coupes de champagne, j’étais ivre morte et j’ai dû m’effondrer sans manger sur le lit avec une tisane et des pilules calmant le feu gastrique… Faire des folies devient de plus en plus difficile. Donc c’est peu dire que je partage l’internationale des grands-parents chinois, je le savais d’ailleurs depuis le film l’adieu… (histoire et société, Danielle Bleitrach)

Propos recueillis par Tom Umbdenstock

Mensuel N° 330 – Novembre 2020

Article mis à jour le 14/10/2020

La génération qui a grandi sous le maoïsme arrive aujourd’hui à la retraite. La sociologue Justine Rochot leur a consacré son doctorat, « Bandes de vieux : une sociologie des espaces de sociabilité de jeunes retraités en Chine urbaine contemporaine », qui vient d’être récompensé par le prix de thèse de l’EHESS.

Justine Rochot

Docteure en sociologie à l’EHESS, spécialisée sur la vieillesse en Chine.


Pourquoi s’intéresser aux personnes âgées en Chine ?

Lors de mon master, j’avais fait une enquête dans une maison de retraite à Shanghai où je m’étais liée d’amitié avec des personnes âgées. Après cette expérience, je voulais continuer de travailler sur la question de la vieillesse. J’ai donc commencé une thèse avec l’idée d’interroger la figure par excellence du « problème social de la vieillesse », celle de la personne seule. Je me demandais si cette solitude construite comme un problème social avait vraiment à voir avec l’expérience concrète des gens. Pour rencontrer ces personnes, j’ai intégré des groupes de retraités, par exemple dans les parcs publics où ils chantaient ou dansaient – c’était l’époque de la « fièvre des danses de place » avec ces groupes de femmes de 50, 60 ans, qui se retrouvaient sur les places publiques pour danser ensemble. Or j’ai rapidement compris que ce qui les préoccupait n’était pas le fait d’habiter seul ou non, mais l’importance de leur réseau de sociabilité. Ce sont ces réseaux que j’ai donc étudiés, dans un milieu urbain à Kunming et Pékin.

Comment ces retraités chinois vivent-ils leur vieillesse ?

Ils revendiquent cet âge comme un moment dont ils ont le droit de profiter après une vie de labeur. Car cette génération des années 1950-1960 a le sentiment d’avoir été sacrifiée. Ils sont nés sous le maoïsme, ont été enfants à l’époque de la grande famine, ont participé aux grands mouvements de jeunesse du maoïsme, pour certains ont été envoyés à la campagne pour se faire rééduquer par le travail, et lorsqu’ils ont voulu fonder une famille, ont subi la politique de l’enfant unique. Ils revendiquent donc aujourd’hui le droit de profiter enfin de leur existence malgré leur volonté d’être utiles et d’agir pour la nation, héritée de leur socialisation en contexte collectiviste. Par exemple, certaines femmes se plaignent de devoir partir six mois de l’année s’occuper de leur petit-enfant en alternance avec les autres grands-parents : elles se considèrent comme des grands-mères exploitées. Cette conscience collective les rassemble autour d’espaces de sociabilité, ceux où j’ai mené cette enquête.

En quoi votre travail renouvelle-t-il l’étude de la vieillesse ?

Ces retraités de la génération Mao partagent de nombreuses aspirations. Pour autant, leurs activités et les groupes qu’ils intègrent sont très variés. Par exemple, dans une université pour personnes âgées que j’ai étudiée, on trouve beaucoup de femmes qui n’avaient pas eu accès aux études supérieures dans leur jeunesse et rattrapent cette frustration. Souvent retraitées du service public, leur attachement à l’État se retrouve dans ces universités gérées par les comités locaux du Parti. Un autre groupe que j’ai intégré, l’Escadron de la joie, est composé d’amis qui ont été envoyés à la campagne sous le maoïsme au début des années 1970 pour se faire rééduquer par le travail. Ils n’arrêtent pas de dire qu’ils doivent « être joyeux », et parlent de cela presque comme d’une injonction. Mais derrière ce discours, nombre d’entre eux font état de frustrations dans leurs relations familiales, dans le système de santé défaillant, ou encore dans la manière dont ils considèrent le monde contemporain, qui change trop vite à leurs yeux. On voit donc comment leurs sociabilités sont modelées à la fois par leur passé si particulier, par leurs incertitudes présentes, mais aussi par les discours portés sur la retraite par l’État chinois. Plus largement, je trouve que l’exemple chinois invite à interroger le rôle des socialisations nées dans le contexte de la guerre froide – les soixante-huitards en France, ou la génération de la guerre du Vietnam aux États-Unis – dans l’émergence récente de nouvelles manières de percevoir la vieillesse. 

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