Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La Chine ne remplace pas les USA, nous entrons dans une nouvelle ère… par Danielle Bleitrach

Tandis que les États-Unis et l’Europe semblent avoir les plus grandes difficultés à sortir de leur crise – mais quelle crise? La Chine continue sa progression, est-ce que pour autant la Chine prétend prendre la place des USA en tant que nouvelle puissance hégémonique ? Il n’en est rien, nous sommes devant un nouveau cas de figure, celui que Fidel Castro annonçait depuis 1983. Mais voyons plutôt ce qu’il en est. Pour une fois que nous pouvons un peu échapper au catastrophisme et complotisme ambiant, sans parler des jeux de pouvoir et de couloir sans intérêt auxquels notre monde politique et ses médias semblent vouloir se vouer.

La nouvelle centralité Asie-pacifique

Le Partenariat économique global régional (RECP) récemment signé avec les 10 pays de l’ANASE ainsi que l’Australie, la Chine, le Japon, la Nouvelle-Zélande et la Corée du Sud représentent 30 % de l’économie mondiale et 2,2 milliards de personnes, soit environ 30 % de la population mondiale. Le fait majeur d’un tel accord est non seulement l’ampleur du marché qu’il recouvre mais aussi le fait que ce soit le premier accord commercial au monde qui unisse la Chine, le Japon et la Corée du Sud.

Ces deux derniers sont en effet les alliés majeurs des États-Unis, tout comme l’Australie, mais leur adhésion à l’ASEP pour signer cet accord commercial important consacre le fait qu’il y a réellement un déplacement du centre de l’activité économique mondiale. Comme l’avait annoncé Marx cela fait du pacifique la zone la plus importante vers laquelle se tournent d’autres zones mondiales et relativise l’importance de l’Atlantique qui risque de se retrouver toujours comme Marx l’avait prédit au statut de la mer méditerranée lors de la première mondialisation capitaliste.

Déjà la présence de la Nouvelle-Zélande va dans ce sens, parce que c’est l’Océanie et pas l’Asie, comme l’Australie. Ces deux pays sont membres de la soi-disant alliance militaire Five Eyes (avec le Canada, le Royaume-Uni et les États-Unis), de plus en plus conçue contre la Chine. Mais si l’Australie (comme la France) joue le double jeu de relations commerciales avec la Chine tout en alimentant un discours xénophobe d’allégeance aux USA, la Nouvelle Zélande est plus amicale. La récente nomination d’une femme maorie au poste de ministre des Affaires étrangères crée de nouvelles conditions de relations amicales avec la Chine, celles de nouveaux rapports sud-sud entre gens ayant subi la colonisation.

La Chine a construit de nouveaux circuits

Alors que la fin du règne de Trump coïncide avec des discours particulièrement hostiles des USA contre la Chine, la mobilisation y compris de l’OTAN et sur le modèle de l’OTAN va d’autant plus a contrario de ce pacte que celui-ci a été concocté de longue date, cela fait huit ans que tout est fait pour aboutir à une telle signature. L’occident y voit une victoire de la Chine, c’est incontestablement une victoire politique contre l’endiguement mais en fait celle-ci a apporté encore plus : son poids, son énorme marché mais aussi les liens qu’elle a réussi à tisser dans le monde à la fois à travers l’organisation de coopération de Shanghai (1) et l’initiative ceinture et route signée par 138 nations et 29 organisations internationales en Afrique, en Europe (18 membres de l’UE), au Moyen Orient, en Amérique latine et en Asie du sud-est. Les États-Unis et le magazine Forbes ont récemment laissé croire que la Chine renonçait à la route de la soie, l’affirmation est erronée, ce maillage international est au contraire aussi ce qui attire les pays asiatiques.

La mondialisation est irréversible et on ne peut pas penser politiquement en l’ignorant, ne serait-ce que pour faire face à des phénomène comme la financiarisation, ses liens non seulement avec des monopoles comme le pétrole, l’énergie, les armes, la drogue, et maintenant plus déterminant encore les nouvelles technologies. Autre chose est le fait que c’est au niveau national que nous avons les armes pour y faire face et que la perte de souveraineté est une condamnation à subir la crise du capitalisme à son stade impérialiste financiarisé.

Ces pactes, ententes économiques sont donc des stratégies nationales pour tenter de récupérer une part de souveraineté et ils sont à mettre en relation avec la transformation des organismes internationaux, là encore la Chine joue le même jeu de multilatéralisme en transformant de l’intérieur ces organismes et en les orientant plus vers des coopérations dans lesquelles le poids des nations du sud est plus pris en compte. Elle n’est pas la seule, mais là encore la question reste concurrence ou coopération.

L’Inde qui avait participé aux discussions s’est retirée à la dernière minute à la fois sous pression américaine et par hostilité personnelle à la Chine, mais la porte reste ouverte et l’Inde cherche à suivre les pas de la Chine y compris en Afrique et a bien du mal à régler ses contradictions internes. Elle tente avec les États-Unis d’attirer à elle Japon et Australie mais ceux-ci ont préféré la dynamique du RECP.

Dynamique sud-sud: la prévision de Fidel Castro

En fait la Chine a accepté une dynamique qui va bien au-delà de ce qu’elle impulse, cette dynamique est celle de nouveaux rapports sud-sud, multilatéraux avec des accords intervenus depuis une vingtaine d’années mais qui se sont encore accélérés. Il n’est pas question pour la Chine de prétendre y jouer le rôle des américains et de revendiquer une quelconque hégémonie mais de mettre à profit ce que souvent avec la Russie elle a impulsé au plan international et qui va dans le sens de ce multilatéralisme.

Je dois dire que chaque fois que je vois l’évolution du monde, je suis de plus en plus frappée par la prescience du rapport de Fidel Castro en 1983 dans lequel il annonçait une telle évolution (2).

Pour faire simple sur ce que disait ce rapport de Fidel Castro aux non alignés à Bangkok, en 1983, c’était que le capitalisme était entré dans une crise profonde dans laquelle il allait entraîner le monde entier et que même l’URSS malgré sa planification ne pourrait faire face. Le phénomène majeur en était la croissance poussive, le chômage, de l’occident. Le tiers monde qui jusqu’ici était entièrement polarisé vers les métropoles coloniales, système de transport, immigration compris, ne pouvait rien en espérer en matière de croissance, même inégale, il ne pouvait plus désormais compter sur le capitalisme pour assurer son développement. Si je devais traduire cela en terme marxiste, je dirais que la crise du capitalisme engendre à la fois une paupérisation relative et absolue pour le dit tiers monde. Pour faire une fois encore simple :

– la paupérisation relative : en proportion, le prolétariat a « une part du gâteau » toujours plus petite, mais le gâteau continue de grandir ;

– la paupérisation absolue : en proportion, le prolétariat a « une part du gâteau » toujours plus petite, mais le gâteau a cessé de grandir.

Donc la seule solution pour les pays du tiers monde est de créer de nouveaux rapports sud-sud, dans lequel le gâteau continue de grandir et à chaque nation de régir la distribution des parts. Dans la société socialiste de marché qu’est la Chine, pour aller ainsi a contrario des buts du capitalisme, il ne s’agit pas de supprimer la classe capitaliste “en soi” mais de l’empêcher d’accéder à la “classe pour soi”, celle où avec l’Etat elle arrive justement à ne plus être seulement en proie à la concurrence mais à faire de l’accumulation du profit pour les individus de sa classe l’intérêt général.

Pour le tiers monde mais pour une part croissante de sa propre population, c’est là la crise révélée par la pandémie avec des phénomènes massifs: usure des services publics, destruction même, et surtout le fait qu’il n’y a plus de mobilité sociale ascendante et que les enfants de la génération qui a bénéficié des trente glorieuses vivra beaucoup moins bien que leurs parents, des compensation comme les retraites sont à leur tour attaquées.(3)

Mais ces phénomènes de dégradation des pays capitalistes occidentaux ne sont que très atténués par rapport à ce qui s’est installé dans le tiers monde à partir des années soixante et dix et face auxquels la Chine a joué un rôle d’atténuation multiple en apportant un autre système de crédit, en favorisant par exemple en Afrique des systèmes d’échange internes. (4)

La Chine présentait un effet de masse tel qu’elle pouvait créer de nouveaux rapports sud-sud. La Chine présentant la double caractéristique d’être la plus vieille civilisation de l’humanité et d’avoir connu le niveau actuel du Zimbawe et d’être obligée de lutter en son sein contre les effets du capitalisme de paupérisation absolue et ceux de paupérisation relative liés au marché. On mesure mal l’importance de la lutte contre la pauvreté absolue qui caractérise la Chine et qui fait qu’elle représente 70 % de la réduction de cette pauvreté dans le monde, et l’annonce de cette victoire en 2020. Ce n’est pas seulement une volonté de justice sociale mais bien une mise en cause de la tendance actuelle du capitalisme qui va vers la paupérisation absolue de part croissante de la population. C’est avec la paix et les propositions de coopération, l’aspect le plus caractéristique du “socialisme de marché”, désormais suivi de près par la lutte pour l’environnement et contre l’épidémie.

Ces rapports sud-sud ne sont pas un simple changement d’hégémonie, la Chine ayant tiré bilan des erreurs de l’URSS dans l’affrontement avec l’occident.

Le choix du multilatéralisme

Cela s’accompagne incontestablement d’une absence d’attente réelle sur ce que l’on peut escompter d’un changement de tête politique de l’impérialisme. La Chine mais aussi la Russie ont marqué leur désintérêt. On a noté que Xi n’a envoyé qu’un banal message de félicitation à Biden, le 25 novembre et encore c’était après une nouvelle provocation de Pompeo affirmant que Taïwan ne faisait pas partie de la Chine. Ce qui est posé là encore c’est un principe sur la souveraineté des frontières, le refus d’un droit extraterritorial, dans lequel l’impérialisme est de moins en moins en situation d’intervention et qui là encore concerne bien au-delà de la Chine. Comment ne pas voir que le message nous concerne, nous et les vassaux européens et nous dit “occupez-vous de vos intérêts économiques, vous en avez bien besoin!” Effectivement. Nous, Français, sommes passés en peu de temps de la quatrième puissance du monde à la sixième et il semble que notre place réelle soit désormais sous Macron en train de rétrograder à la douzième et plus.

Danielle Bleitrach

(1) l’Organisation de Coopération de Shanghai, commencée en 2003, d’abord avec la Chine et la Russie, ainsi que quatre des anciens « Stans » soviétiques qui forment un bloc de pays d’Asie centrale. Ils ont été rejoints en juin 2017 par le Pakistan et l’Inde. Il y a également toujours autour de l’alliance sino-russe, un dernier groupe qui transforme la nature du commerce mondial, c’est l’Union économique eurasienne (EAEU). Ce groupe est entré en vigueur le 1er janvier 2015 et se compose de l’Arménie, du Bélarus, du Kazakhstan, du Kirghizistan, de la Russie et du Tadjikistan. L’Ouzbékistan a obtenu le statut d’observateur en 2020.

(2) C’est à la suite de cette lecture que j’ai écris les chapitres des États-Unis de mal empire (édition Aden) correspondant à cette analyse en 2004 et surtout l’édition cubaine revue et corrigée en 2006.

(3) Il ne faut pas sous estimer la conscience qu’ont les travailleurs et la population d’un pays de vivre un progrès ou non. si sous le capital, la domination de l’homme sur la nature entraine la domination de l’homme sur l’homme, l’exploitation et l’oppression et que cela détermine de fait sur tout “progrès” au point que celui-ci apparait comme un mal. Marx montre que l’exploitation par la plus value relative est une voie dans laquelle le capitaliste ne s’engage que contraint et forcé par la résistance de la classe ouvrière. Le capitalisme n’est progressiste que quand il crée les conditions de sa propre relève. C’est lutter contre lui qui est le véritable élément du progrès et plus encore quand c’est la vie même qui est en jeu, comme dans le cas de la pandémie.

(4) Le bilan de cette intervention n’est pas celui présenté par la presse occidentale. On le voit avec le choix du RECP, de l’ANASE, mais on peut le lire d’une manière détaillée (par exemple l’article publié sur les vaccins) ou d’autres observations, quand par exemple on lit que la Tasmanie (une ile australienne) a atteint son niveau d’autosatisfaction énergétique en énergie propre et ceci grâce à la collaboration avec la Chine et si l’on a suivi l’évolution de ce dossier on sait combien cette collaboration a été décriée avec de pseudos écologistes et des vrais qui ont tenu bon. l’ANASE à elle seule est un ensemble d’ententes autour de projets.

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2 Commentaires

  • Xuan

    Il est rare que je cite l’Humanité :

    “Economie : vers un bouleversement des grandes puissances” par Robert Kissous

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  • jacques delepine
    jacques delepine

    bonjour
    -A travers ton exposé , je retrouve, en partie, posée l’approche que s’imposait Samir Amin.
    -il me semble intéressant de le lire ou de le relire, il avait orienté l’essentiel de sa réflexion sur “la polarisation immanente au capitalisme: le Centre et la Périphérie”. Pour lui cette polarisation rend la contradiction Centre/Périphérie indépassable au sein de ce système et elle est encore plus marquée dans le capitalisme mondialisé.
    -Pour S.A. “cette polarisation immanente au capitalisme n’est pas produite pas quelques conditions concrètes et spécifiques, opérant ici et là, mais le produit de la loi de l’accumulation à l’échelle mondiale”. Dans ses analyses il se proposait d’examiner les expériences socialistes dans les termes suivants: “rattrapage ou construction d’une autre société?”

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