Histoire et société

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“THE MASK”: LA BD CULTE QUI A INSPIRÉ LE FILM AVEC JIM CARREY par Jérôme Lachasser

La contre-révolution néo libérale avec son individualisme psychopathe a son superhéros, un pauvre type minable qui avec un masque a la puissance destructrice, sans rien , sans apprentissage, sans effort par le seul gadget comme le capitalisme à ce stade: “”Celui qui porte le masque réalise très vite que le pouvoir qu’il détient est quasiment sans limite et le rend presque invulnérable. Tout devient immédiatement possible, sans besoin d’apprentissage. Il fait sauter toutes les inhibitions, rend accro et transforme finalement son porteur en véritable sociopathe.”. Moi avec mon classicisme habituel, je pense encore au mépris de Godard, un monde en ruine dont les dieux ont disparu, alors que des monstres vidés même de ce désarroi de l’absence se croient tout permis-Nous sommes passés du mépris à permis.. (note de danielle Bleitrach)

Jérôme Lachasse Le 22/11/2020

Détail de la couverture de la BD "The Mask"
Détail de la couverture de la BD “The Mask” – Delirium

La célèbre comédie des années 1990 s’inspire d’un comics immoral et violent à l’humour ravageur. Jusqu’à présent inédites en France, ces BD sont enfin disponibles, montrant un autre visage du personnage.

Connu en France comme un personnage burlesque dans la lignée du Loup de Tex Avery, et révélé au cinéma en 1994 par Jim Carrey dans une interprétation restée mémorable, The Mask est en réalité un anti-héros beaucoup plus dépravé, un dangereux sociopathe à l’humour noir ravageur.

Le comics d’origine, qui a servi d’inspiration à la comédie qui a révélé Jim Carrey, a été créé dans les années 1980 par Mike Richardson, scénariste et fondateur des éditions Dark Horse. Jusqu’à présent inédites en France, ces BD sont enfin disponibles aux éditions Delirium, montrant un autre visage de ce personnage, plus complexe qu’il n’y paraît, et à la genèse mouvementée.

L’histoire de The Mask débute en 1985. Mike Richardson griffonne dans la revue amateurAPA-5 le dessin d’un masque, inspiré d’une idée qui l’obsède depuis 1982. L’idée l’obsède tant, qu’il la teste en 1987 dans Dark Horse Presents, mensuel qui sert à l’éditeur à tester de nouvelles séries au ton plus sombre et plus violent que les comics traditionnels:

La première version du "Mask"
La première version du “Mask” © Dark Horse

“C’est dans ces pages que sont apparues des séries telles que Sin City de Frank Miller, Next Men de John Byrne ou Aliens, et les séries qui étaient plébiscitées par les lecteurs finissaient par avoir leur propre titre mensuel”, précise Laurent Lerner, éditeur français de The Mask.

Un anti super-héros

Dans cette histoire écrite par Mike Richardson, et dessinée par Mark Badger, le personnage s’appelle alors simplement “Masque”. Le résultat, très politique, est jugé peu concluant et Richardson interrompt sa publication. La série renaît deux ans plus tard dans le comic-book Mayhem avec une nouvelle équipe composée de John Arcudi (scénario) et de Doug Mahnke (dessin).

Désormais baptisé “Big Head” par ses ennemis, puis “The Mask”, le personnage se présente comme le rejeton des personnages déjantés de Tex Avery et du Terminator de James Cameron: “La bonne formule est alors quasiment trouvée, et la série homonyme est lancée un peu plus tard, en 1991, avec la même équipe créative.”

La première apparition de "The Mask"
La première apparition de “The Mask” © Delirium

L’histoire est simple: un homme découvre un masque, qui lui offre une force destructrice qu’il retourne contre la société. Contrairement aux récits super-héroïques habituels, où le masque confère une dimension mythologique au super-héros, celui-ci n’entraîne aucune responsabilité, si ce n’est celle de répandre le chaos.

“Celui qui porte le masque réalise très vite que le pouvoir qu’il détient est quasiment sans limite et le rend presque invulnérable. Tout devient immédiatement possible, sans besoin d’apprentissage. Il fait sauter toutes les inhibitions, rend accro et transforme finalement son porteur en véritable sociopathe.” The Mask est conçu dès le départ comme un anti super-héros, rappelle Laurent Lerner:

The Mask détourne complètement l’idée fondatrice du personnage insignifiant qui, en se découvrant subitement des pouvoirs, voudrait immanquablement agir pour le ‘bien commun’ dans un univers ou toute violence et toute noirceur sont édulcorées. Et si dans une époque où l’individualisme devenait roi, il était justement attiré par l’inverse pour n’en faire qu’à sa tête, et qu’il y allait franco, juste parce qu’il le pouvait? Et s’il y prenait plaisir? Et si le sentiment de toute-puissance était une spirale addictive qui risquait de déraper à tout moment?”

"Les Yeux de l'enfer", une des influences possibles de "The Mask"
“Les Yeux de l’enfer”, une des influences possibles de “The Mask” © Kino Lorber

Les influences de The Mask remontent aux années 1960, selon Laurent Lerner. Le pitch des Yeux de l’Enfer, classique du cinéma fantastique canadien sorti en 1961, est très proche de celui deThe Mask et a sans doute beaucoup influencé Mike Richardson et John Arcudi. On y retrouve en particulier le motif du masque maléfique qui se transmet et pousse son nouveau propriétaire à la folie et au meurtre: “L’idée qui a séduit les créateurs était précisément que le Masque était une malédiction qui se transmet, celle du pouvoir sans limite qui corrompt son porteur”, commente l’éditeur.

Faire sauter les inhibitions

The Mask sort dans un contexte propice à ce genre de remise en question et apparaît dans la droite lignée des comics iconoclastes sortis dans les années 1980: “Lorsque la série a été lancée, nous étions dans la continuité de l’évolution des comics vers un lectorat plus adulte, plus critique, moins idéaliste”, commente Laurent Lerner, avant d’ajouter:

“Les lecteurs anglo-saxons vivaient dans le monde de Reagan et de Thatcher et venaient de lire Watchmen, les BD de Frank Miller, telles que The Dark Knight Returns, et certains créateurs indépendants remettaient frontalement en question les mythes parfois exploités de manière hypocrite par les majors, comme Rick Veitch, avec Brat Pack ou Maximortal. On sortait des codes qui avaient été exploités jusqu’à la corde depuis les années 60 jusqu’à la fin des années 80.”

A contre-courant des comics de l’époque, The Mask fait sauter les inhibitions du dessinateur Doug Mahnke, qui brise le quatrième mur avec son personnage. “C’est comme dans les comics” dit-il juste après s’être transformé. Il y a dans The Mask un constant second degré, qui tranche avec la violence extrême du récit.

Les couvertures des BD "The Mask"
Les couvertures des BD “The Mask” © Delirium

Ses histoires se démarquent par leur grande liberté de ton, son dessin complètement punk et son goût pour le gore, voire le body horror (“horreur corporelle”), lorsque The Mask s’arrache la peau. “Ce côté ‘body horror’, allait aussi à l’inverse des codes des comics de super-héros et super-héroïnes, généralement canons de beauté physique. Ils incarnent des idéaux, contrairement à The Mask”, analyse Laurent Lerner.

Au fil des deux volumes disponibles en France, qui regroupent des histoires publiées entre 1991 et 1995, le dessin de Doug Mahnke évolue très rapidement, basculant d’un style un peu simpliste à des planches très détaillées. La violence et la mise en scène des morts sont de plus en plus élaborées. John Arcudi et Doug Mahnke déploient des sommets d’inspiration pour trouver le parfait équilibre entre violence extrême et gag burlesque, tout en évitant de basculer dans le sordide.

“Je crois que là, on est justement dans la magie de la bande dessinée”, explique l’éditeur. “Quand deux auteurs cogitent et travaillent longtemps ensemble comme John Arcudi et Doug Mahnke l’ont fait pourThe Mask, ils sont de plus en plus à l’aise avec leur création, le ton est trouvé, les personnages sont incarnés, et tout se fait plus naturellement, de manière plus fluide et les idées peuvent s’enchaîner.”

Une planche de "The Mask"
Une planche de “The Mask” © Delirium

Important succès du début des années 1990, The Mask a-t-il été une référence pour les autres grands comics irrévérencieux qui ont suivi, comme The BoysPreacher ou Deadpool? “Sur The Boys ou Preacher, je ne pense pas”, estime Laurent Lerner. “Pour Deadpool, apparu aussi en 1991, tout est possible. Les éditeurs se sont toujours observés et inspirés les uns les autres. Mais ce type de personnage à contre-courant des super-héros ‘classiques’ était finalement devenu dans l’air du temps et, au vu de leur succès, Marvel comme DC devaient intégrer des personnages de ce type à leurs propres univers.”

La suite en 2021

Le film de Jim Carrey, en s’éloignant du ton de l’œuvre d’origine, n’a pas nui au comics, bien au contraire. À l’image du Mask qui change de propriétaire, la série a su s’adapter à son époque: “Après la sortie du film, The Mask était connu par un public énorme aux quatre coins de la planète, plus particulièrement un public très jeune et/ou familial. Les parutions qui ont suivi ont donc pris en compte cette nouvelle notoriété et se sont adaptées à leur plus grand public.”

La France, qui découvre tout juste le phénomène, lui a réservé un bel accueil. Le premier volume, qui réunit les deux premières histoires complètes du personnage, publiées avant la sortie du film avec Jim Carrey, s’est arraché dans les librairies. Le livre en est à sa troisième réimpression. Les fans du film, devenus adultes, ont adopté la BD et seront ravis d’apprendre que la suite arrive: Delirium vient de publier le deuxième tome en octobre, avec une nouvelle histoire complète (Le Masque Contre-Attaque), et deux autres volumes suivront en 2021.SUR LE MÊME SUJET

The Mask, Doug Mahnke (dessin) et John Arcudi (scénariste), Delirium, deux tomes disponibles, entre 22 et 26 euros.https://twitter.com/J_LachasseJérôme Lachasse

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