Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Georges Marchais et l’URSS, impressions et témoignage en matière d’adieu, par Danielle Bleitrach

Le 16 novembre Georges Marchais est mort c’est l’occasion pour moi de l’évoquer, et de dire à quel point je ne le reconnais pas dans la manière dont certains l’utilisent, il n’y a pas que lui, Aragon, lui-même, tout passe au filtre immonde de leur négationnisme, de leur petitesse. Mais prenons de la hauteur pour parler de ceux qui ont fait le PCF que d’autres s’emploient à détruire. Je viens de lire le journal de Maurice Thorez, à la fin de sa vie, après son AVC, ce qui apparait ce sont ses fidélités, non seulement son amour compagnonnage pour Jeannette, mais sa double patrie, la France et l’URSS. Il y a bien des ressemblances de ce point de vue avec Georges Marchais, ce sont des ouvriers patriotes, le parti est leur préoccupation constante parce qu’il est l’arme la plus sûre de cette classe ouvrière, il y aussi avec Liliane le couple exemplaire, des différences aussi. Mais je raconte ici, comme dans mes mémoires, alors que certains refont à leur guise l’histoire ce qu’était la relation des dirigeants communistes à l’URSS. (note de Danielle Bleitrach)

17NOV 2020

Je pourrais longuement écrire sur la manière dont Georges Marchais se situait par rapport à l’Union soviétique, le souci qu’il avait de marquer sa distance par rapport à toutes les violations des libertés individuelles, celle de la création en particulier. À ce titre j’étais un des membres du Comité des libertés qu’il avait créé, je partageais cet honneur avec René Andrieu, Pierre Juquin, Louis Aragon, Georges Séguy, Georges Marchais lui-même. Je me souviens de notre première réunion et de ma stupéfaction en contemplant tous ces yeux bleus, ceux de Marchais étaient étonnants par moment presque turquoise et quelquefois comme un glacier ce qui le rendait plus dur qu’il n’était, parce qu’il avait du cœur… Mais dans le comité des libertés, l’équilibre se faisait et ma propre indéfectible fidélité à l’URSS n’était jamais violée.

Jamais Georges Marchais n’a autorisé la moindre remise en cause de l’apport de l’Union soviétique, même si l’expression « bilan globalement positif » n’est pas de lui mais de Fiterman, cela résumait sa pensée et la mienne d’ailleurs je n’ai jamais compris pourquoi cette réflexion a suscité un tel tollé… Il était normal de voir les ombres et les lumières et surtout de voir quels étaient les problèmes. Je pense même que ceux qui refusent de voir les problèmes et qui forcent leur opinion, sont ultérieurement les pires liquidateurs. Ils s’écroulent d’un bloc, comme une banquise… dans les temps où cela chauffe.

Là encore je me souviens de la préparation du 25e congrès où nous étions chargées Gisèle Moreau et moi de préparer la partie sur le socialisme « réel ». Toujours obstinée dans ma recherche de la “vérité”, j’avais fait état de statistiques qui montraient que pour la première fois en Union soviétique le taux de mortalité était reparti dans le mauvais sens, on mourait plus jeune. Il y avait d’autres indicateurs qui témoignaient déjà des ravages de la stagnation autant que de la désorganisation gorbatchévienne. J’avais rédigé ce constat sans grande précaution avec ma redoutable franchise et mon amie Gisèle avait assumé mes propos iconoclastes.

Georges s’est mis en colère et nous a dit que l’on ne pouvait pas limiter la réalité de l’Union soviétique à ces propos. Je me souviens encore la manière dont tous les autres rédacteurs du projet du congrès nous ont regardées Gisèle et moi, le chef avait parlé et nous étions des pestiférées. Seul Gaston Plissonnier avec sa chaleureuse rudesse nous a signifié son amitié. Les pires dans le genre étaient Blottin et Gayssot qui sont devenus ce que l’on sait. Je demandais une prise en compte des problèmes et ceux qui plus tard noieront le bébé avec les eaux du bain me regardaient avec horreur parce que le chef, qu’ils mépriseront un peu plus tard, avait parlé.

Mais le lendemain Georges nous a embrassées, a plaisanté avec nous et nous étions revenues en grâce. Combien de fois ai-je vécu cette situation où un entourage, qui après s’est avéré être assez ignoble avec Georges, le poussait à ne pas analyser mais à réagir. Lui était un animal politique, doué d’un flair incroyable et il ne faisait pas que réagir, il avait un ancrage de classe que d’autres ne possédaient pas et qui lui était à la base de ses fidélités à l’URSS, à Cuba, tout en s’ouvrant à la Chine…

C’était une intelligence, une fidélité, un respect du parti et de ses militants, mais une partie de son entourage était pourri et le poussait aux excès médiatiques. Il valait mieux que ça. Cela dit cette indéfectible fidélité doublée d’une aussi sincère volonté de défendre les libertés produisait bien des contradictions. Surtout quand l’entourage de Georges Marchais, son secrétariat nettement plus opportuniste, sans parler de Pierre Juquin chargé des relations avec la presse, avaient tendance à privilégier « les coups » d’éclat plus que l’analyse.

J’ai haï ce congrès de Martigues ou non contents de couper le parti de sa base prolétarienne, de le désorganiser à la Gorbatchev, les dirigeants de l’époque ont refusé cet hommage à Georges Marchais qu’il avait amplement mérité. C’est alors que comme bien d’autres je suis entrée en dissidence et je me suis juré de ne plus croire aveuglément… Aujourd’hui je crains que ces gens-là n’aillent jusqu’au bout de ce qu’ils sont et que le parti communiste comme on me l’affirme de toute part ne soit plus en état de résister.

Certains me disent que l’auto-destruction remonte loin, à l’eurocommunisme, c’est sans doute partiellement vrai. Pourtant je suis également convaincue pour l’avoir vécu jour après jour comme je le raconte dans mes mémoires que si le PCF a mieux résisté que d’autres partis en proie à l’eurocommunisme, comme l’italien, l’espagnol, le mexicain, qui sont quasiment anéantis c’est parce que Georges Marchais a vu où cette dérive nous menait et a donné un coup de frein. Il l’a chèrement payé et un jour son cœur a lâché.

On ne réalise pas la dérive tout de suite. Dans mes mémoires j’ai voulu reconstituer cette prise de conscience, les faits que l’on n’interprète pas tout de suite dans le sens où ils se révéleront ultérieurement. Je les ai construites comme un kaléidoscope avec des figures qui peu à peu prennent sens. On m’accuse souvent d’être stalinienne, j’ai été au contraire farouchement anti-stalinienne même si j’ai toujours reconnu ma dette envers l’URSS et la manière dont ils avaient vaincu le nazisme. Il a fallu un long périple autour du monde, et surtout Cuba, pour que je remette en cause ma filiation avec le 22e Congrès. Il a fallu que je rencontre les témoins au plus haut niveau de l’histoire réelle, mais Marianne et sa capacité à me mettre en prise directe avec les peuples par son extraordinaire capacité linguistique mais cela va au-delà, a joué aussi un rôle, mes convictions d’aujourd’hui je les ai combattues, je les ai soumises à la question à tous les sens du terme.

J’ai vu comment ceux qui parlaient de démocratie refusaient les faits, manipulaient l’histoire, ce qui se passait dans le monde. Et je dois dire que ce qui s’est passé en 2017, en matière de célébration (sic) de la Révolution d’octobre par le PCF, a été encore une découverte, j’ai perçu le caractère volontaire de la liquidation et l’entreprise de révisionnisme du passé. Après avoir fêté Trotski pour la Révolution d’octobre, en installant son immense portait dans le hall de Fabien, certains dirigeants du PCF ont retrouvé Georges Marchais qu’ils avaient mis au placard, allant comme je viens de le dire jusqu’à refuser une minute de silence au Congrès de Martigues, celui de tous les abandons, là ils lançaient une autre opération : Georges Marchais était un eurocommuniste, un antisoviétique. A ce propos celui de la découverte du portrait de Trotski trônant dans le hall de Fabien, cela me faisait plutôt sourire en pensant à la tête des dirigeants que j’avais connus devant cette icône. Ça aurait été bien pire s’ils avaient découvert le numéro spécial que L’Humanité consacrait à cette célébration, Georges Marchais en tête. Encore une légende le fait que je serais anti-trotskiste, je n’ai aucun problème à militer avec eux, mais j’ai constaté qu’ils falsifiaient l’histoire ce qui j’ignore pourquoi me met hors de moi, et ensuite que là où ils sont, rapidement l’organisation dans laquelle ils pratiquent l’entrisme est réduite à sa plus simple expression, déchirée par les factions. nous y sommes d’ailleurs.

Ce faisant ces gens-là qui avaient pris la direction du PCF n’inventaient rien, ils ont agis selon une méthode éprouvée. Il est renoué de fait avec une vieille stratégie de la social-démocratie et en particulier de Mitterrand, qui a tenté en prenant pied sur l’Europe et sur la crise affrontée par l’URSS, d’en finir avec les partis communistes en utilisant les divisions et les doutes pour se faire une virginité de défenseur des libertés, lui qui avait plus que flirté avec Vichy, lui qui avait été l’exécuteur de Iveton, le communiste algérien, et d’autres, un anticommuniste de toujours, tel que je le décris dans mes mémoires. Lui qui avait fait passer les intellectuels du comité central d’Argenteuil à la courtisanerie et aux paillettes et strass de Jack Lang.

La tentation de l’eurocommunisme c’est le XXIIe Congrès avec Jérôme Kanapa, du 4 au 8 février 1976. Mais dès 1974 et surtout quand se précise la stratégie de Mitterrand, il y a une prise de conscience du piège d’une présidence au-dessus des partis, du fait que le parti s’affaiblit alors que l’hypothèse d’un socialisme à la française est subordonnée à un parti fort, l’union se fait aux dépens des communistes ce qui est de mauvaise augure.

Effectivement. On va vers l’échec du fait de la participation gouvernementale avec le tournant de l’austérité. Georges Marchais a freiné des quatre fers, en particulier en 1983, en refusant le tournant de la rigueur, mais aussi le plan Davignon, la restructuration industrielle voulue par l’Europe, on l’a brocardé et le PCF avec lui quand il a soutenu qu’il fallait produire français. On a insinué qu’il était fasciste… Il a défendu la France, son indépendance, sa souveraineté, quand il a décidé de fait de quitter ce gouvernement, ils ont commencé une lutte impitoyable contre lui avec la complicité active de Mitterrand et de certains ministres communistes, mais aussi d’éléments du PCI qui se voyaient déjà les socialistes en Italie et un groupe commun avec le PS. A ce titre dans mes mémoires je rappelle Rigoud, alors ministre, prenant la parole à Rome le 29 juin 1984 et déclenchant la contestation au sein du PCF pour tenter d’empêcher le PCF de sortir du gouvernement. Marchais était devenu grossier, vulgaire, risible et même les camarades les plus convaincus cédaient à la pression. Je dois dire que je n’ai jamais eu la moindre tentation de faire chorus avec ces gens-là, pas plus hier qu’aujourd’hui, parce que je mesurais ce qu’ils tentaient de faire de nous les intellectuels, comment ils prétendaient nous acheter avec des hochets.

C’était une opération préparée de longue date et qui était destinée à la destruction totale du PCF comme allait l’être le PCI. Marchais devenant un Berlinguer ou un Santiago Carillo (1) voilà qui leur allait, mais quand il a refusé, ça a été l’opération lynchage à l’extérieur et la division entretenue à l’intérieur. Les médias se sont retournés contre lui avec une belle unanimité tandis que les « dissidents du PCF » étaient transformés en héros lucides. Et ça continue, il suffit de lire l’interprétation de Martelli.

Ce qui est extraordinaire est le manque d’imagination dont ils continuent à faire preuve y compris quand ils sont à la tête d’un PCF qui résiste et veut au mois conserver le nom. Y compris quand nous n’en sommes plus au mitterrandisme triomphant mais à la débâcle du PS, ils n’ont pas changé de stratégie, il s’agit de démontrer que partout le communisme a été un échec et ne voir d’issue que dans la énième mouture de la social démocratie… peut-être pour faire oublier à quel point les problèmes que connaît la France aujourd’hui sont liés au choix de désindustrialisation et de financiarisation de ce temps-là.

Voilà la présentation que fait l’Humanité du livre de Gérard Streiff consacré à Georges Marchais en 2017 : « sa complicité avec Jean Kanapa et Charles Fiterman, les années de feu de la décennie soixante-dix, l’eurocommunisme puis le « choc » de 1981 avant la perestroïka et l’effondrement de l’Est. Georges Marchais dirigea le PCF dans une période charnière pour cette formation, qu’il contribua à moderniser tout en demeurant dépendant d’un lourd héritage. Il est temps de redécouvrir Georges Marchais. »

Oui visiblement c’est une « découverte ». ils ont commis Gérard Streiff à cette besogne… Quand on pense que celui qui est mis en avant avec Kanapa c’est Fiterman qui est devenu l’homme de Mitterrand et est passé au PS. C’est vraiment incroyable cette manière de trafiquer l’histoire. Tout cela pour aboutir à faire dire à Georges Marchais ce contre quoi il s’est battu : la liquidation du PCF sur le modèle du PCI et du PCE… 

Aujourd’hui, se joue peut-être le dernier acte et je sais ce qu’auraient été les choix de Georges Marchais devant cette ultime volonté de liquidation.

Mais c’est aussi en matière d’adieu que je vous dis cela parce que je ne suis plus en état de poursuivre ce que j’ai subi et continue à subir, la médiocrité, l’inculture. Aragon avait raison, lui qui me disait “pour des gens comme vous et moi parfois ce parti devient un mauvais lieu, un coupe-gorge (2)… Lui que j’ai vu pleurer un soir d’épuisement devant des articles immondes de Libération… mais il ignorait que désormais l’idéologie et les mœurs de Libération auraient droit de cité dans son parti.

Danielle Bleitrach

(1) ce dernier avait déjà en 1978 signé sa propre reddition avec l’acceptation de la monarchie voulue par Franco et l’amnistie des crimes franquistes (seuls les résistants basques étaient pourchassés). Aujourd’hui avec la crise en Catalogne, nous avons la démonstration de ce qu’a été ce choix d’un dirigeant communiste bradant toutes les luttes de son parti au nom de l’intégration européenne et de l’alignement sur la social-démocratie.

(2) Voici ce que j’ai reçu ce matin d’un certain J.S. Boisrond qui avait commenté d’une manière invraisemblable le texte du KPRF sur l’Arménie y voyant le signe de l’impérialisme stalinien russe et expliquait que s’il y avait eu une faible mobilisation autour de l’Arménie c’était à cause des staliniens comme moi et ceux du KPRF. J’ai été prévenue de son commentaire puisqu’il intervenait sur un texte de mon blog, j’ai cru reconnaître la prose de lutte ouvrière, et il m’a dit la chose suivante qui est désormais dans les mœurs des “jeunes communistes” visiblement bien considérés à Vitry… : Dois-je être honoré ou désemparé d’être suivi par une timbrée de votre genre ? Vu que j’ai trente berge je ne suis sans doute pas concerné par ce cracage nocturne. Une petite camomille anisée te ferais du bien camar..non nous ne sommes pas camarades ! Désolé je ne soutiens pas vos mensonges vieux de près de 90 ans que ce soit l’assassinat de tout le bureau politique du parti bolcheviks de 17, la destruction puis liquidation du komintern, l’arrivée d’hitler au pouvoir en Allemagne puis le pacte avec lui. La balkanisation du Caucase et du Turkestan, Yalta etc. Toi et ta bande de croûton bon pour l’asile veulent faire régresser le parti. Oui l’euro communisme a été une erreur dans sa destalinisation mais je ne permettrai pas à ce qu’il reviennent au temps de Thorez.

Au titre de ce qu’il faudrait selon ce vieux jeune homme imputer à l’impérialisme stalinien russe et donc à moi, il a oublié la baisse dramatique du QI dans sa génération (c’est confirmé, c’est la première génération avec ces effets là)… je sais bien que le confinement crée des effets dépressifs et que certains partent “en sucette” comme on dit chez les “jeunes”, mais c’est un peu l’effet j’imagine que le portrait de Trotski aurait produit non seulement sur Georges Marchais, Gaston Plissonnier, mais le plus spectaculaire eut été Fournial, le spécialiste de l’Amérique latine qui sortait le piolet dès qu’il entendait parler de Trotski, ou René Andrieu qui n’était pas mal dans le genre. Remarquez il aurait suffit du style de ce vieux jeune homme, l’illustre Boisrond, (trente ans encore à l’UEC) pour que le rédacteur en chef de l’Humanité, amateur de Sendhal, sorte de ses gonds… il y a des moments où la douleur cède au fou-rire et on se dit que ces gens là doivent impérativement rester entre eux… c’est peut-être contagieux… et comme cette brave Pinçot Charlot, le dernière intellectuelle de choc qui survit à ces mœurs, confond dans ce chef d’œuvre cinématographique qu’est Hold up, le coronavirus et l’holocauste, il faut se planquer… Moi j’y renonce… le masochisme a des limites.

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2 Commentaires

  • Flaconneche
    Flaconneche

    Tout ce passé vécu douloureusement …
    Cette manipulation de la formule « globalement positif » …
    je retiendrai cette remarque faite à propos de Georges Marchais : « ancrage de classe ». C’est ce qui fait cruellement défaut dans tant et tant de textes, commentaires, réflexions que nous subissons …
    C’est bien pourtant ce qui devrait conduire nos réflexions, stratégies, communications, actions
    Mais je suis peut-être trop simpliste

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  • jo nice
    jo nice

    C’est vrai ça,en quoi le bilan de l’URSS n’était il pas globalement positif? objectivement le pays le plus arriéré d’europe en 1917 est le premier à envoyer un homme dans l’espace et à légaliser l’avortement…
    Sa signifie quelque chose!

    Répondre

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