Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Mademoiselle ARENDT et la révolution par ERIC HOBSBAWN

 

Le document qui suit est la traduction du chapitre consacré à Hannah Arendt dans un livre très peu connu d’ ERIC HOBSBAWN intitulé REVOLUTIONARIES. Il n’a pas été traduit en français ce qui n’est qu’une demi-surprise si on se souvient que l’accès des lecteurs français aux grands livres de cet historien britannique n’a pas été favorisé par les éditeurs français qui, en particulier à la fin du siècle écoulé, préféraient promouvoir la lecture des ouvrages donnant de la révolution française une image « distanciée » pour ne pas dire négative. De nombreuses bibliographies de l’auteur en anglais ne mentionnent pas non plus ce titre. Il est pourtant digne d’intérêt.

Publié en 1965 il a été réédité en 2001. COMAGUER  (comaguer@orange.fr) en a découvert sur internet une édition gratuite en PDF qu’il tient évidemment à la disposition des lecteurs curieux. Sa traduction  est délicate car le référentiel conceptuel anglo-saxon en matière politique et sociale ne trouve pas toujours un équivalent juste en français. En particulier tout ce qui tourne autour des mots dérivés de la même racine latine, « commun » en français, « common» en anglais ouvre des champs lexicaux différents : « droit commun »  n’est pas « common law » en anglais, une « commune » en français ne peut pas se transposer dans la chambre basse britannique : « House of commons » la traduction mot à mot de « commonwealth » n’éclaire pas le sujet. De surcroît en français les très nombreuses références  actuelles au « commun »  sont autant de manœuvres langagières pour ne pas écrire le mot « communisme »  censuré par les pouvoirs, les assemblées, les médias et la majorité des éditeurs.  

Cette traduction est certainement imparfaite et toute relecture critique sera la bienvenue. Mais l’important est que le livre de Mademoiselle Arendt où s’affirme son positionnement idéologique soit soumis à la rigoureuse analyse de Hobsbawm. Il ne s’agit pas ici de persiflage ou de cabale anti Arendt mais la place excessive qu’occupent encore aujourd’hui dans le champ idéologique  occidental des notions Arendtiennes comme « la banalité du mal » ou le « totalitarisme » justifie largement de faire savoir que Hobsbawm lui refuse dans ce texte la qualité d’historienne des révolutions et la classe définitivement chez les métaphysiciens idéalistes.

HANNAH ARENDT SUR LA REVOLUTION

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Le phénomène de révolution sociale est un phénomène avec lequel nous devons nous adapter dans un siècle qui a vu plus de révolutions plus importantes que toutes les autres dans l’histoire. Cependant, par la nature même de leur impact, les révolutions sont très difficiles à analyser de manière satisfaisante, entourées qu’elles sont et doivent l’être d’un nuage d’espoir et de désillusion, d’amour, de haine et de peur, de leur propres mythes et de la contre-propagande. Après tout, peu d’historiens de la Révolution française qui ont écrit avant le centième anniversaire de son apparition sont maintenant lus, et la véritable historiographie de la révolution russe, malgré une certaine accumulation de matériel, n’en est qu’à ses débuts. Comme l’indique l’historiographie de la révolution française l’étude scientifique des révolutions n’est pas synonyme d’étude impartiale. Les grandes réalisations dans ce domaine seront probablement “engagées” – généralement par sympathie pour les révolutions. Une étude engagée n’est pas nécessairement une simple brochure, comme l’ont démontré Mommsen et Rostovzeff. Pourtant, il est naturel que dans les premiers stades de l’enquête sur les révolutions sociales le marché ait tendance à être submergé par des brochures, parfois simples, parfois en se faisant passer pour un travail historique et sociologique sérieux et exigeant donc une critique sérieuse. Leur public n’est normalement pas celui des experts ou de l’étudiant sérieux. Ainsi, il n’est peut-être pas sans importance que les quatre citations louangeuses de lecteurs renommés imprimées sur la couverture du livre de Mlle Hannah Arendt, « On Révolution » (1), ne viennent pas d’historiens ou de sociologues, mais de personnalités littéraires. Mais bien sûr, de telles œuvres peuvent néanmoins présenter un grand intérêt pour le spécialiste. La question se pose de savoir si le livre de Mlle Arendt est dans ce cas. La réponse, pour l’étudiant intéressé par la révolution française et les révolutions modernes ne peut être que non.

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 Je ne suis pas en mesure de juger de sa contribution à l’étude de la révolution américaine, bien que je soupçonne que ce ne soit pas génial. L’intérêt du livre ne dépend donc pas des découvertes de l’auteur ou de ses connaissances sur certains phénomènes historiques, mais de ses idées générales et interprétations. Toutefois, comme celles-ci ne sont pas fondées sur une l’étude du sujet qu’ils prétendent interpréter, et semblent en effet presque exclure une telle étude par leur méthode même, elles  ne peuvent être solidement fondées. Elle a des mérites, et ils ne sont pas négligeables : un style lucide, parfois emporté par la rhétorique, mais toujours assez transparent pour nous permettre de reconnaître la véritable passion de l’écrivain, une forte intelligence, une large culture et la puissance  d’une perspicacité occasionnelle, bien que  mieux adaptée, semble-t-il, au terrain vague qui se trouve entre la littérature, la psychologie et ce que, faute d’un meilleur mot, est mieux dénommé prophétie sociale, qu’aux sciences sociales telles qu’elles se construisent aujourd’hui. Cependant, il est possible de dire même de ses intuitions, ce que Lloyd George a observé de Lord Kitchener, à savoir que leurs faisceaux éclairent parfois l’horizon, mais laissent la scène dans l’obscurité entre leurs éclats. La première difficulté rencontrée par l’historien ou le sociologue étudiant les révolutions de Mlle Arendt est une certaine métaphysique et le caractère normatif de sa pensée, qui à l’occasion va bien et de façon assez explicite avec un certain idéalisme philosophique démodé. (2)

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Elle ne prend pas les révolutions comme elles viennent, mais se construit un type idéal, en définissant son sujet en conséquence, en excluant ce qui n’est pas à la hauteur de son cahier des charges. Nous pouvons également observer au passage qu’elle exclut tout ce qui n’est pas la zone classique de l’Europe occidentale et de l’Atlantique Nord, car son livre ne contient pas la moindre référence à – des exemples viennent à  l’esprit – la Chine ou à Cuba ;  car elle y avait un peu réfléchi et elle n’aurait pas pu formuler certains jugements (3).

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Sa “révolution” a été est un changement politique global dans lequel les hommes sont conscients d’ouvrir une époque entièrement nouvelle dans l’histoire de l’humanité, notamment l’abolition de la pauvreté (mais seulement comme si c’était accidentel) et exprimé en termes d’idéologie laïque. Son sujet est “l’émergence de la liberté” telle que définie par l’auteur. Une partie de cette définition lui permet, après avoir brièvement tourné autour du pot, d’exclure de la discussion toutes les révolutions et les mouvements révolutionnaires avant 1776, mais au prix de rendre impossible une étude sérieuse du phénomène réel de la révolution. Ce qui reste lui permet de traiter la majeure partie de son sujet, une comparaison approfondie entre les révolutions française et américaine, au grand avantage de cette dernière. La première est prise comme le paradigme de toutes les révolutions ultérieures, bien qu’il semble que Mlle Arendt ait surtout en tête la révolution russe de 1917. La “liberté” que ses révolutions sont faites pour instituer est essentiellement un concept politique. Bien qu’il ne soit pas trop clairement défini – il apparaît progressivement dans la réflexion de l’auteur – est tout à fait distincte de l’abolition de la pauvreté (la “solution de la question sociale”) que Mlle Arendt considère comme le corrupteur de la révolution, sous quelque forme qu’elle se produise ; ce qui inclut la forme capitaliste (4).

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On peut en déduire que toute révolution dans laquelle les éléments économiques et sociaux  jouent un rôle majeur est exclue de la démarche de Miss Arendt qui élimine plus ou moins toute révolution qu’un étudiant pourrait vouloir connaitre. Nous pouvons en outre déduire que, à l’exception partielle de la révolution américaine qui, comme elle le soutient, a eu la chance d’éclater dans un pays sans habitants très pauvres et des habitants libres, aucune révolution n’était ou n’aurait pu instaurer la liberté, et même au XVIIIe siècle l’esclavage américain le plaçait face à un dilemme insoluble. La révolution ne pouvait pas “instaurer la liberté” sans abolir l’esclavage, mais – sur l’argument de Mlle Arendt – elle n’aurait pas pu le faire non plus si elle l’avait aboli. Le problème fondamental des révolutions, en d’autres termes- les siens-  est donc le suivant : “Bien que l’ensemble des révolutions passées démontre sans aucun doute que chaque tentative de résoudre ainsi la question sociale avec des moyens politiques mène à la terreur, et que c’est cette terreur qui conduit les révolutions à leur perte, on peut difficilement nier que pour éviter cette erreur fatale, il est presque impossible qu’une révolution éclate dans des conditions de pauvreté de masse”. La “liberté” que la révolution est faite pour instituer est plus que la simple absence de contraintes sur la personne ou la garantie des  “libertés civiles”, car ni l’une ni l’autre (comme le fait remarquer à juste titre Mlle Arendt) n’exige une forme particulière de gouvernement, mais seulement l’absence de tyrannie ou de despotisme.(5)

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 Elle semble consister dans le droit et la possibilité de participer activement aux travaux de la vie commune  – des joies et des récompenses de la vie publique, telle qu’elle a peut-être été conçue à l’origine dans la polis grecque (pp. ,123-124). Cependant – bien qu’ici l’argument de l’auteur doive être reconstitué plutôt que suivi -La “liberté publique” en ce sens reste un rêve, même si les pères de la constitution américaine étaient assez sages, et assez peu préoccupés par les pauvres, pour instituer un gouvernement qui était raisonnablement protégé du despotisme et de la tyrannie. L’essentiel de la véritable tradition révolutionnaire est qu’elle maintient ce rêve en vie. Elle l’a fait par le biais d’une tendance constante à générer des organes spontanés capables de réaliser la liberté publique, à savoir les assemblées et conseils locaux ou de section, électifs ou directs (soviets, conseils), qui ont émergé au cours des révolutions pour n’être supprimés par la dictature du parti. Ces conseils devraient avaient une fonction purement politique. Gouvernement et administration étant distincts, la tentative de les utiliser (3) pour la gestion des affaires économiques (“contrôle des travailleurs”) est indésirable et vouée à l’échec, même lorsqu’il ne fait pas partie d’un complot du parti révolutionnaire pour “éloigner [les conseils] du domaine politique et les ramener dans les usines”. Je n’ai pas pu découvrir le point de vue de Mlle Arendt sur qui est chargé de la “gestion des affaires publiques d’intérêt général “, comme l’économie, ou la manière dont elle doit être conduite.

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L’argument de Mlle Arendt nous en dit long sur le type de gouvernement qu’elle trouve sympathique, et encore plus sur son état d’esprit. Ses mérites en tant que déclaration générale sur les idéaux politiques ne sont pas en cause ici. D’autre part, il est pertinent d’observer que la nature de ses arguments ne rend pas seulement impossible leur utilisation dans l’analyse des révolutions réelles – du moins en termes qui ont du sens pour l’historien ou le spécialiste des sciences sociales – mais élimine également la possibilité d’un dialogue significatif entre elle et les personnes intéressées par les révolutions réelles. Dans la mesure où Mlle Arendt écrit sur l’histoire des révolutions, telles qu’elles peuvent être observées dans la période contemporaine, faire l’objet d’une enquête rétrospective ou d’une évaluation prospective – son lien avec elles est aussi accessoire que celui des théologiens médiévaux avec les astronomes. Tous deux parlaient de planètes, et tous deux parlaient, au moins en partie, des mêmes corps célestes, mais le contact n’est pas allé beaucoup plus loin. L’historien ou le sociologue, par exemple, sera lui irrité, alors que l’auteur elle l’est manifestement pas, par un certain manque d’intérêt pour les faits. Il ne s’agit ni d’inexactitude ni d’ignorance, car Mlle Arendt est suffisamment instruite et érudite pour être consciente de ces insuffisances mais plutôt comme une préférence pour une construction métaphysique ou pour un sentiment poétique sur la réalité. Quand elle observe que “même en tant que vieil homme en 1871 Marx était encore assez révolutionnaire pour accueillir avec enthousiasme la Commune de Paris, bien que cette crise contredise toutes ses théories et ses prédictions” (p. 58), elle doit être consciente que la première partie de la phrase est erronée (Marx avait en fait cinquante-trois), et la seconde, fait, à tout le moins, l’objet de nombreux débats. Sa déclaration n’est pas vraiment historique, mais plutôt, pour ainsi dire, une phrase dans un drame intellectuel, qu’il serait aussi injuste de juger selon les normes historiques que le Don Carlos de Schiller. Elle sait que la formule de Lénine pour le développement de la Russie – “l’électrification plus les soviets” – ne visait pas à éliminer ni le rôle du parti ni l’édification du socialisme, comme elle le soutient (p. 60). Mais son interprétation donne une acuité supplémentaire à son affirmation selon laquelle l’avenir de la révolution soviétique aurait dû se dérouler selon une technologie politiquement neutre et un système politique de base « en dehors de tous les partis”. Objecter : “mais ce n’est pas ce que Lénine voulait dire” c’est introduire des questions appartenant à un autre ordre de discours que le sien.

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Et pourtant, de telles questions peuvent-elles être entièrement laissées de côté ? Dans la mesure où elle prétend discuter non seulement de l’idée de révolution, mais  également de certains événements et institutions identifiables, elles ne peuvent pas l’être. Puisque la tendance spontanée à générer des organes tels que les soviets est clairement le grand moment pour Mlle Arendt, et fournit des preuves de son interprétation, on aurait pu par exemple s’attendre à ce qu’elle montre un certain intérêt pour les formes réelles que prennent ces organes populaires. En fait, l’auteur ne s’y intéresse manifestement pas. Il est même difficile de découvrir ce qu’elle a précisément en tête, car elle parle dans le même mouvement d’organisations politiquement très différentes. Les  ancêtres des soviets (qui étaient des assemblées de délégués, principalement des groupes fonctionnels de personnes dans les usines, les régiments ou les villages), dit-elle, étaient soit les sections parisiennes de la Révolution (qui étaient essentiellement des démocraties directes de tous les citoyens en assemblée publique) soit les sociétés politiques (qui étaient des groupes volontaires d’un type familier). Une analyse sociologique pourrait éventuellement montrer qu’elles étaient similaires, mais Mlle Arendt s’en abstient. (6) Là encore, il est évident que ce n’est pas “la vérité historique de la question… » que le système du parti et celui de conseils sont presque équivalents ; les deux étaient inconnus avant les révolutions et tout deux sont les conséquences du principe moderne et révolutionnaire selon lequel tous les habitants d’un le territoire ont le droit d’être admis dans l’espace public et politique”. (p. 275). Même en admettant que la deuxième moitié de la déclaration soit acceptable (pour autant que nous définissions le domaine public en termes qui s’appliquent aux grands États territoriaux ou nations modernes, mais pas aux autres et formes d’organisation politique historiquement plus répandues), la première moitié ne l’est pas.  Les Conseils, même sous la forme de délégations élues sont un dispositif politique si évident dans des communautés au-dessus d’une certaine taille qu’ils devancent considérablement les partis politiques, qui sont, à moins au sens habituel du terme, des institutions bien loin d’être évidentes. Les conseils en tant qu’institutions révolutionnaires sont connus bien avant 1776, lorsque commencent les révolutions de Mlle Arendt, comme par exemple dans le Soviet Général de la Nouvelle Armée Modèle, (NDT La New Model Army fondée en 1645 pat le Parlement anglais à la demande Cromwell est composée de soldats professionnels et non d’aristocrates)  dans les communes de la France du XVIe siècle et des Pays Bas, ou d’ailleurs dans la politique des villes médiévales. Un “système de conseil” sous ce nom est certainement coexistant avec, ou plutôt postérieurement aux partis politiques de la Russie de 1905 puisque c’est eux qui ont reconnu l’implication possible des soviets dans les gouvernements révolutionnaires des nations mais l’idée d’un gouvernement décentralisé dans des organes communaux, peut-être reliés par des pyramides à des organes délégués supérieurs est, pour des raisons pratiques, extrêmement ancienne. En effet, les conseils “ont toujours été avant tout politiques,  les revendications sociales et économiques jouant un rôle mineur” (p. 278). Tel n’est pas le cas, parce que les ouvriers et les paysans russes ne le faisaient pas – et ne pouvaient pas(7) – faire une distinction précise entre la politique et l’économie selon l’analyse  de Mlle Arendt. De plus, à l’origine les conseils ouvriers russes, comme ceux des délégués d’atelier (ndt : les fameux shop stewards)  britanniques et allemands de la première guerre mondiale ou les conseils syndicaux qui ont  parfois pris en charge des fonctions quasi-soviétiques lors de grandes grèves, étaient les produits de l’organisation syndicale et de la grève ; c’est-à-dire qui étaient, si on peut distinguer parmi leurs activités, plutôt économiques que politiques. (8)

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En troisième lieu, elle se trompe parce que la tendance immédiate des soviets efficaces, c’est-à-dire urbains, en 1917 fut de se transformer en organes d’administration, en rivalité avec les municipalités, et à ce titre, bien évidemment, d’aller au-delà du domaine de la discussion politique. En effet, c’est cette capacité des soviets pour devenir des organes d’exécution ainsi que de débat qui a suggéré aux penseurs politiques qu’ils pourraient servir de base à un nouveau système politique. Mais plus que cela, la suggestion que de Les revendications telles que le “contrôle ouvrier « sont en quelque sorte une déviation de la ligne d’évolution spontanée des conseils et organismes similaires simplement ne résiste pas à d’examen. La « mine aux mineurs”, “L’usine aux ouvriers »  ” – en d’autres termes, l’exigence d’une coopération démocratique au lieu de la production capitaliste – remonte aux premières étapes du mouvement syndical. Il est depuis lors resté important dans la pensée populaire spontanée, ce qui ne nous oblige pas à le considérer comme autre chose qu’une utopie. Dans l’histoire de la démocratie de base, la coopération dans les unités communales et dans l’apothéose du  “le commonwealth coopératif” (qui était la plus ancienne définition du socialisme chez les travailleurs) jouent un rôle crucial. (ndt : le terme « commonwealth » est difficile à traduire en français puisqu’il fait désormais partie des anglicismes d’usage mondial – concrètement l’expression auquel se réfère peut-être implicitement Eric Hobsbawn a été utilisée au Canada à la suite de la crise de 1929 par un mouvement de type solidariste qui existe encore aujourd’hui – cf. Léon Bourgeois – de prise en charge collective de communautés locales dans l’immense espace canadien)

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Il n’y a donc pratiquement aucun moment où le discours de Mlle Arendt  sur ce qu’elle considère comme l’institution cruciale de la tradition  révolutionnaire s’applique aux  phénomènes historiques réels qu’elle prétend décrire, et à partir de quoi elle généralise. Et le reste de son livre rendra perplexe quiconque étudie les révolutions, qu’il soit historien, sociologue, ou analyste des systèmes et institutions politiques, Son esprit aigu jette parfois un éclairage sur la littérature, y compris la littérature classique de la théorie politique. Elle a une perception profonde de la théorie psychologique des motivations et des mécanismes des individus – sa discussion sur Robespierre, par exemple, peut être lue avec profit – et elle a de temps en temps des éclairs de perspicacité, c’est-à-dire qu’elle fait parfois des déclarations qui, bien qu’elles ne soient pas particulièrement fondées sur des preuves ou des raisonnements, semblent vraies et éclairantes pour le lecteur. Mais c’est tout. Et ce n’est pas suffisant. Il y a sans doute des lecteurs qui trouveront le livre de Mlle Arendt est intéressant et enrichissant. Il est peu probable que l’étudiant en histoire ou sociologie des révolutions soit du nombre.

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Eric Hobsbawn – 1965

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Notes : en raison de la transformation de la mise en page d’origine les notes de bas de page ont été regroupées en fin d’article

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1 Hannah Arendt, « On Revolution », New York et Londres, 1963.

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(2) Cf. : “Qu’il existait des hommes dans l’Ancien Monde pour rêver de liberté publique, qu’il y avait des hommes dans le Nouveau Monde qui avaient goûté au bonheur public – ces sont finalement les faits qui ont conduit le mouvement  à se développer en une révolution de part et d’autre de l’Atlantique” (p. 139).

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(3) Par exemple : “Les révolutions semblent toujours réussir avec une facilité étonnante dans leur phase initiale ” (p. 112). En Chine ? À  Cuba ? Au Vietnam ? En Yougoslavie en temps de guerre ?

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(4) “Comme [les États-Unis] n’ont jamais été accablés par la pauvreté, c’était “la passion fatale pour les richesses soudaines” plutôt que la nécessité qui faisait obstacle à la fondation de la république” (p. 134).

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(5) Cependant, Mlle Arendt semble oublier sa distinction lorsqu’elle observe plus tard (p. 111) que “nous savons aussi, à notre grand regret, que la liberté a été meilleure préservée dans des pays où aucune révolution n’a jamais éclaté, quelle qu’en soit la manière outrageante des circonstances des pouvoirs en place, que dans celles où les révolutions ont été victorieuses”. Ici, “Freedom” semble être utilisé dans un sens qu’elle a déjà rejeté. La déclaration est en tout cas sujette à caution.

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(6) Si elle ne le faisait pas, elle pourrait être moins certaine que les délégués soviétiques “n’étaient pas nommés  par le haut et non soutenus par le bas” mais “s’étaient  sélectionnés eux-mêmes” (p 282). Dans les soviets paysans, ils auraient pu être sélectionnés par des institutions (par exemple, la nomination automatique du maître d’école ou des chefs de certaines familles), tout comme dans les sections locales des syndicats d’ouvriers agricoles britanniques, chez les cheminots du lieu – des agriculteurs indépendants et le petit noble local – étaient souvent choisis automatiquement  comme secrétaire. Il est également certain que les divisions locales de classes avaient  a priori tendance soit à favoriser soit à empêcher la sélection des délégués. De toute manière cette position pose question.

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(7) Puisque les pauvres sont d’après elle déterminés  prioritairement par la « nécessité » plus que par la « liberté » c’est-à-dire par des motifs plus économiques que politiques. Elle se trompe là aussi.

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(8) Mlle Arendt est abusée par le fait qu’au plus fort de la crise révolutionnaire toutes les organisations débattent la plupart du temps de politique.

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