Suze Trappet (excellente Virginie Efira) apprend à 43 ans qu’elle est mourante, les bronches rongées par le spray trop employé dans son métier de coiffeuse. Elle décide de partir à la recherche de l’enfant qu’elle a été forcée d’abandonner quand elle avait 15 ans. Sa quête administrative se heurte à un mur, que fait tomber par une explosion suicidaire JB, quinquagénaire en plein burn out, joué par Dupontel…
C’est l’occasion pour la jeune femme flanquée de cet informaticien de génie dont l’ordinateur peut transformer le bâtiment administratif en tour infernale de poursuivre sa quête de l’enfant abandonné. Pourtant ce pierrot lunaire des nouvelles technologies est aussi l’illustration de leur capacité de nuisance : employé dans un ascenseur bloqué, collègue à l’épaule et au bras en sang à cause du suicide raté, eaux déversées en matière de sécurité, des paniques, évacuation d’urgence et bien sûr la police aux trousses. Cela nous confronte à un scénario par écrans interposés avec une invention à chaque minute… Les pieds nickelés quand un peu plus tard, le couple malgré lui en cavale, recrute M. Blin, archiviste aveugle un ancien de l’EDF, un anarchiste qui hait la police. L’infirme enfoui dans une cave sinistre a un trop plein de vitalité. À eux trois, ils se lancent dans la quête de l’enfant jadis placé sous X, d’administrations en hôpitaux, avec chaque fois la découverte de l’absurdité des lieux, l’angoisse de ceux qui y vivent, une fuite entre Bonnie and Clyde et Amélie Poulain.
On rit beaucoup mais un rire subtil, sans vulgarité, et qui sait garder sa part à l’émotion. Ce résultat est obtenu en se pliant aux aléas du tournage, on le sent, parce que le réalisateur-acteur fait confiance à ses acteurs, à ses techniciens pour rattraper le fil d’un récit qui n’est pas toujours maîtrisé. L’acteur et l’image c’est ça son point fort.
C’est un des films que l’on attendait dans ces temps de confinement, rire cela fait du bien et en plus se donner le plaisir face aux interdits, face aux institutions répressives, l’incohérence de nos gouvernants, d’avoir malgré soi mauvais esprit est de l’ordre du luxe. Aller voir un Dupontel qui les traite tous de cons, ça soulage. Ne vous en privez pas même si ça ne mène pas très loin. Et puis aller à 10h45 dans une salle de cinéma où nous étions une dizaine à des kilomètres les uns des autres, c’est l’endroit le plus rassurant du monde. Même si nous sommes dans l’épicentre de l’épidémie à Marseille.
A propos puisqu’il est question de cons mégalomanes, je ne sais pas si notre virologue local y comprend quelque chose, j’ai des doutes mais en tous les cas ce dont je suis sûre c’est qu’il porte la Scoumoune, la malédiction comme JB le héros de Dupontel… Les deux pays dont les chefs d’Etat se sont emparés de son médicament miracle, à savoir le Brésil et les Etats-Unis ont été les principaux foyers de la propagation, et maintenant dans une Europe désormais en tête de la performance, la France est loin devant les autres et parmi les localités françaises les plus dévastées, Marseille… Le cinéma dans lequel je vois ce film est à une centaine de mètres des services du professeur Raoult, je suis dans l’ambiance. Le virologue mégalo, faux babacool porté aux nues par l’union sacrée de Muzelier, Vassal, Rubirola, Samia Ghali, Bernard Arnault, et dieu sait pourquoi quelques communistes en proie au complot, qui fait le buzz sur les écrans et est interviewé par le plus incapable des chefs d’Etat. Tous affligés du même mal ils ont des certitudes sur ce que visiblement ils ignorent: les cons dénoncés par le film.
Cela dit, même si vous n’êtes pas dans cette situation privilégiée d’être dans la ville où jusqu’au bout une bande de cons se l’est joué l’OM contre PSG avec la vie des gens, renforçant le sentiment de n’avoir aucune force politique capable de vous faire échapper à l’apocalypse, vous êtes de toute manière loin de la métaphysique cinématographique des grandes épidémies, du Septième sceau à Mort à Venise, en passant par Panique dans la rue et quelques autres… Vous êtes bien dans l’univers des délires du politique, des médias, des bradages de la science dont nous avons eu un festival depuis le mois de janvier, comment ont-ils réussi à faire d’une épidémie la mort au temps du grotesque et ce que l’on tente de nous présenter comme de la folie de masse qui pourrait aller jusqu’au fanatisme, comme si cette bande de cons d’élite n’y était pour rien.
Donc vous prendrez du plaisir à ce film, l’amer plaisir “à vitupérer l’époque” du petit commerce et des couches moyennes, même s’il n’emporte pas tout à fait ma conviction. Je m’explique peut-être est-ce parce que cet individualisme forcené a ses limites, ou peut-être parce qu’il est condamné à s’auto-reproduire à la recherche d’un public qu’il feint d’ignorer.
C’est dur de faire un film quand le précédent a été un succès. Le précédent c’était “Au revoir là-haut!”; avec “Adieu les cons”, cela s’enchaîne sans faire redondance.
La phrase-titre “Adieu les cons!” est répétée et prend un sens explosif à la fin. Pourtant par moment, un peu besogneux, je me suis demandée s’il ne cherchait pas la recette du succès précédent. Comment expliquer ? Je venais de lire la biographie de Woody Allen et je me suis dit que si Dupontel est franco limite franchouillard, il a des points communs avec Woody Allen; d’abord dans la possibilité de sauver un film en faisant confiance aux acteurs, en se laissant imprégner par un décor urbain, là c’est une ville en construction. Mais le point essentiel est une névrose assumée par les deux réalisateurs et celle du personnage qu’ils jouent. En l’occurrence pour le film de Dupontel c’est JB, ça tourne autour des femmes mais pas seulement, un trop plein d’injustice, d’être pris dans un labyrinthe à cause des “cons”. Cette névrose assumée est aussi celle d’Adrien, (Bastien Ughetto), sorti d’une grande école, à un haut poste de responsabilité, fils retrouvé de Suzie Trappet, il n’ose pas dire son amour. Ce fils est d’ailleurs un des points faibles du film, on décroche un peu parce qu’il est trop décrit et pas assez en train d’agir, et à travers lui on s’aperçoit de ce travers du cinéaste.
Pourtant par instant c’est totalement réussi, cette manière de s’enfermer dans les écrans et de s’abstraire totalement, ce colloque singulier avec l’ordinateur, là encore un grand classique du confinement, du télétravail aux grands complots des réseaux sociaux. Le film est constamment sur le fil du rasoir entre invention et invraisemblance. Comme son acteur fétiche Nicolas Marié en monsieur Blin, l’archiviste aveugle, c’est de la dynamite et il donne du rythme au film, celui de cascades provoquées par son infirmité mais par moment il le casse comme la craie rayait jadis le tableau noir. Au fait : y a-t-il encore des tableaux noirs? Comme beaucoup de réalisateurs français, à ces moments-là Dupontel nous raconte son film, au lieu de nous le donner à voir et pourtant il déborde de prouesses visuelles.
Bref ce film comme celui de Jeunet qui a eu un immense succès, Amélie Poulain, est une invention perpétuelle de l’imaginaire auquel nous sommes conviés comme dans un manège de fête foraine. Pour se soulager en criant A Bas les flics et adieu les cons! Mais ils sont là plus que jamais.
Danielle Bleitrach
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