Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Socialisme: ceux qui luttent ne peuvent vivre dans la nostalgie, par Danielle Bleitrach

La conscience que rien ne peut demeurer en état s’amplifie incontestablement mais l’issue est incertaine, chacun tente de poursuivre sur sa lancée et sans doute ma propre perception n’échappe pas à ce mouvement général, celui de fonder son analyse sur ses engagements. Certains d’ailleurs, soucieux de s’économiser la déstabilisation du questionnement, décrivent mon positionnement et celui d’autres comme une nostalgie. Une nostalgie qui remonte loin puisqu’elle est qualifiée de “stalinienne”.

En gros, l’analyse serait restée figée aux alentours des années cinquante, 1953 plus exactement.

Disons que c’est tout le contraire, j’ai eu la chance de vivre la fin de l’URSS à Cuba, et c’était un des lieux où la perception de la nouveauté de la situation était certainement la plus lucide et la plus “active”. Cuba avait choisi de résister et ne pouvait pas de ce fait se payer le luxe de la nostalgie, elle entrait tel un fragile esquif dans la tempête des temps incertains d’une mondialisation néo-libérale sans rivage. Mais comme je l’ai souvent indiqué, la lecture d’un rapport de Fidel Castro au sommet des non alignés en 1983 m’avait montré que sans avoir tout à fait la prescience de l’effondrement, Fidel avait conçu dès le début des années quatre-vingt, la conviction de l’impossibilité de résister à cette nouvelle phase du capitalisme et avait eu à cœur de construire des rapports sud-sud.

Mes deux contributions à la réflexion collective furent premièrement de voir le rôle décisif que jouerait la Chine. Le caractère totalement nouveau d’un challenger de l’empire US, représenté par un pays encore sous-développé comme la Chine. La seconde contribution fut de mettre en garde le PCF face à ce qui avait été son drame, et pas seulement à partir de la mutation de Robert Hue, de ne plus avoir de stratégie et de se jouer à chaque élection. Voir loin dans la permanence de l’effort m’était apparu comme la seule garantie d’une résistance débouchant sur la nécessaire transformation. Comme d’ailleurs apprendre à se positionner dans des configurations nouvelles, celui d’un monde multipolaire dans lequel le socialisme jouait un rôle plus grand que celui que l’on croyait.

  1. LE XXe siècle et le bilan des révolutions sur la situation actuelle

Si je plaide depuis longtemps pour une estimation plus juste du bilan de l’URSS, c’est que je suis convaincue que le formidable ébranlement auquel nous assistons n’intervient pas d’aujourd’hui mais a sa source dans le siècle dernier, Impérialisme stade suprême du capitalisme. Le capitalisme dans cette phase impérialiste, devenu depuis 1973, celui des monopoles financiarisés. Donc le mouvement de l’Histoire, celui qui s’accélère aujourd’hui, est pris dans deux événements majeurs : la révolution d’octobre de 1917 et la chute de l’URSS en 1991. On peut dire que tout ce qui est arrivé n’a été que la conséquence de ces faits majeurs. Y compris la longue période qui va de 1991 à 2020, avec cette fois comme fait majeur, devenu incontournable depuis “l’accident” de la pandémie: la montée en puissance de la Chine et la découverte que ce pays ne pouvait pas être assimilable par le capitalisme, la concurrence se présentait sur un autre mode.

L’inconscient historique de ces faits est tel que nous assistons à un apparent paradoxe idéologique, alors qu’ils s’accordent sur la fin du communisme, le capitalisme voit partout le péril rouge, le maccarthysme redevient l’idéologie de base avec la tentative permanente d’identifier stalinisme et nazisme, quitte à s’appuyer partout sur ce qui subsiste de ce dernier dans leur nouvelle croisade. Il n’y aurait plus de communistes, mais l’anti-communisme est plus que jamais la philosophie officielle.

Pourtant l’expérience incontournable qui a été faite partout y compris en France et a fortiori dans tous les pays dits en voie de développement, c’est que la chute de l’URSS a représenté non pas la fin de l’Histoire, mais une incontestable aggravation des conditions de vie de la majorité des habitants de la planète à l’exception d’une poignée. Ce qui avait été créé en matière de santé, d’éducation a été remis en cause et, là encore l’épidémie a été partout un révélateur. Une révélation aussi la manière dont si la misère a reculé dans le monde c’est à cause de la Chine, un cinquième de l’humanité, si le socialisme tel qu’il subsistait encore demeurait un lieu de soin, et de préoccupation humaine.

2) L’HEGEMONIE DES USA REMISE EN CAUSE: LA REVOLUTION VIENDRA-T-ELLE DES USA ?

Pour ceux qui se rendent plus ou moins compte, et l’épidémie a joué un rôle d’accélérateur, que le changement est inévitable, nécessaire, Il y a aujourd’hui diverses manières de prendre conscience de la situation et d’envisager des solutions, l’une dépendant souvent de l’autre. Il y a bien sûr ceux qui continuent à adhérer au capitalisme, voient en lui l’horizon indépassable, un idéal de progrès et de démocratie. Ils sont plus nombreux qu’on ne le croit et si peu sont militants d’un sauvetage au prix du reste de l’humanité d’un “système” – tel est le mot employé pour ne pas dire mode de production – la force d’inertie face au changement nécessaire est considérable. Le modèle, qui nous a été si longtemps vendu, celui du mode de vie américain continue à hanter les consciences, il suffirait de retourner au moment où ce modèle de la liberté sauvage et sans limite se conjugue avec l’Etat providence pour que tout demeure en état.

Le communautarisme n’est parfois que la traduction de cette adhésion, ce qui est proposé à chaque individu c’est la fusion du même, femmes, homosexuels, races, le groupe totalement identifié à ce que l’individu estime être lui. Ce qui est nié est ce qui fonde le politique, l’affrontement des positionnements différents dans la citoyenneté, la reconnaissance de la manière dont la lutte des classes est structure du politique. Imaginer comme le pensent certains que des déchirements actuels des Etats-Unis va surgir la grande révolution mondiale fait partie des illusions permanentes, à défaut de la révolution du même nom, de certains trotskistes ou anarchistes.

Leur analyse a cependant des bases non négligeables, les Etats-Unis demeurent le plus haut niveau de développement des forces productives et Trump à sa manière quand il prétend priver la Chine de son lien avec cette source d’innovation, a une certaine cohérence.

C’était déjà à cause de ce développement que Marx voyait dans les Etats-Unis le pays aux plus grandes potentialités révolutionnaires. Il est allé même plus loin dans sa prescience puisqu’il a prévu le temps où l’océan atlantique, le lien entre les Etats-unis et les anciennes puissances capitalistes européennes serait comparable à ce qu’était devenu la Méditerranée, le bac à sable de l’empire romain, dépassé depuis les grandes découvertes. Il avait envisagé un nouvel axe qui effectivement est très important à savoir les deux rives du Pacifique avec la Chine et c’était en suivant la construction du chemin de fer, sa passion, mais aussi l’exploitation des ouvriers chinois sortis d’un empire fossilisé pour être jetés dans l’oppression des guerres de l’opium et la migration des prolétaires…

Oui parce que si le rapport forces productives / rapports de production dans le mouvement de l’histoire est essentiel, l’état de la lutte des classes est décisif c’est la grande leçon du léninisme et dans une certaine mesure Marx qui apprenait le russe, s’intéressait au-delà de sa haine du despotisme tsariste, à la Russie, avait entrevu des possibles de ce point de vue. Le rôle des formations sociales, leur histoire, la lutte contre le colonialisme, la bataille pour la souveraineté qui en naît est devenu un facteur essentiel.

De ce point de vue, il est clair que la société des Etats-Unis a été profondément travaillée, au niveau même des forces productives. Le modèle étasunien, comme la plupart des pays européens sauf l’Allemagne, la pandémie l’a révélé, a abandonné toute une partie de la chaîne productive, cela a été le poison qu’elle s’est infligé avec le néo libéralisme et l’échange inégal. Comme nos propres sociétés l’ensemble a créé une classe ouvrière, des couches populaires hors sol et une gauche incapable de percevoir ces profonds changements, d’y répondre.

En France, pour percevoir la différence entre engouements “progressistes” et effets de structure, il suffit de mesurer la rapidité avec laquelle on est passé des applaudissements à ceux qui assuraient les soins et la vie de tous dans le confinement, aux réalités de la distribution de la manne étatique aux milliardaires… Cette expérience devrait nous prouver à quel point la logique du capital, celle de ce mode de production demeure fondamentale et apparemment inébranlable. tant qu’il n’y a pas une force organisée, permanente pour s’opposer à cette logique capitaliste.

Non le mouvement social n’y suffit pas… c’est une conviction qui se discute mais nous sommes bien placés en France pour nous interroger là-dessus? Les élus sont un point d’appui mais sans ancrage dans les couches populaires, les discours là aussi cèdent la place aux rudes réalités.

Partout jusqu’au niveau local, et ce que je découvre de la nouvelle municipalité du Printemps marseillais, sans lien avec les couches populaires, témoigne de la manière dont le capital, la droite, voire l’extrême-droite est en situation de renverser aisément les rapports de forces, ne favorisant plus que les clientélismes de la misère et la corruption qui va avec (1).

3) LA TRANSITION AUX SOCIALISMES UN COMBAT DE CLASSE

Pourtant la capacité pour une nation souveraine, pour les couches populaires à entrer dans un dialogue, rapport des forces, avec le capitalisme est pourtant ce que LES EXPERIENCES DE TRANSITION SOCIALISTE mettent en évidence au contraire. Ce qui effectivement est battu en brèche à partir de 1991 c’est l’illusion entretenue par les victoires de l’URSS de la possibilité de construire le socialisme dans une rupture idéale avec un capitalisme resté dominant, l’illusion de la victoire de la coexistence pacifique. En ce sens oui la parabole de la Révolution d’octobre peut être considérée comme terminée, mais en ce sens seulement parce que cette révolution a joué pour le monde qui cherche à naître le rôle joué par la révolution bourgeoise française, elle a comme-celle ci inventé la dictature d’une classe dans l’intérêt général et a créé les conditions de la possibilité de ce qui se passe aujourd’hui.

Le capitalisme avec la chute de l’URSS et du socialisme européen a gagné un nouveau terrain d’exercice, un espace d’accumulation à conquérir mais il a perdu aussi le plus puissant des facteurs de régulation et s’est engouffré dans sa propre autodestruction. Il a de ce fait renforcé les résistances mais sur des bases nationales, la question de la souveraineté et de la maîtrise de ses propres ressources a pris une dimension forte en particulier pour les couches populaires, les premières victimes du pillage.

Le capitalisme et le cas de Cuba est là pour en faire la démonstration se présente en champion de la démocratie et est capable comme aujourd’hui d’étrangler un petit pays pour la seule raison qu’il veut être souverain et choisir son mode de gouvernement. Chaque campagne de l’empire et des occidentaux en faveur de la “démocratie” devrait donner lieu à cette interrogation: “Qui soutenez-vous par votre silence à Cuba? “

Mais les effets de l’échec du siècle dernier, la destruction systématique par le néolibéralisme de toutes les forces révolutionnaires organisées, ont créé les conditions d’une occultation partielle de deux phénomènes qui pourtant s’imposent comme de terribles évidences: la première est le danger de voir l’empire finissant passer de la guerre froide à la guerre y compris nucléaire. Passant des guerres par procuration qu’ont été les invasions néo-coloniales, le terrorisme, les sanctions et autres blocus à un niveau encore plus dangereux pour l’humanité. Nous sommes dans ce qu’on a appelé dans le piège de Thucydide, comme le vieil historien l’avait démontré dans les guerres du Péloponnèse, personne ne voulait la guerre pourtant elle a eu lieu. Non seulement sont attisés tous les points de conflit habituel, mais on voit les USA tenter d’installer avec le Japon, l’inde et l’Australie, l’équivalent de l’OTAN. Le moins que l’on puisse dire est qu’il n’y a pas d’enthousiasme de la part des partenaires. Mieux ou pire, les voix se multiplient devant la découverte que la Chine peut détruire un porte avion des Etats-Unis dans son aire, autour de l’idée que la seule réponse adéquate est d’aller frapper le lanceur de missile dans la Chine même.

L’autre dimension est la capacité à imposer au capital dominant au niveau international et qui continue à être pour une bonne part la base du développement, la force du prolétariat, des classes populaires pour orienter ce développement en leur sens. Il s’agit non pas d’organiser la violence prolétarienne, celle des exploités et des dominés, mais d’empêcher la violence du capital, de lui imposer la paix, le développement scientifique et technique au service de tous.

C’est dans un tel contexte qu’un dialogue peut et doit être ouvert autour non seulement du diagnostic de ce que nous vivons aujourd’hui. Il est frappant de voir comment on retrouve partout du plus infime échelon local à la mondialisation, des problèmes de la pandémie à ceux du changement climatique, les mêmes enjeux, les mêmes obstacles et les mêmes points d’appui.

Danielle Bleitrach

(1) je poursuis avec stupéfaction la découverte non seulement de la répression qui s’exerce contre le Secours populaire, mais également plus grave encore la manière dont les sociétés HLM et habitat social sont livrés à la métropole de droite, le tout par une élue FI et vert, avec adjoints communistes refondateurs il est vrai. Mais vous aurez la semaine prochaine la suite de cette histoire édifiante.

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