Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

La transition actuelle au socialisme par Gilles Questiaux

dansle cadre du débat ouvert ici par Jean Claude Delaunay, la réflexion de Gilles Questiaux. “Que les bouches s’ouvrent pas de mannequins dans le parti”, dans ou à la marge, qu’importe, nous ne pouvons pas nous abstraire de l’Histoire. (note de danielle Bleitrach)

http://www.reveilcommuniste.fr/tag/qu%27est-ce%20que%20la%20%22gauche%22/

28 Août 2020 ,

De plus en plus difficile de trouver les “outils” sur Internet !

La transition au socialisme

La principale raison de douter de la possibilité du socialisme est la prévision d’une réaction si brutale des forces qui dominent l’état actuel du monde qu’elle annulerait tout ce qu’un changement radical pourrait apporter de bon. Le camp d’Auschwitz n’a été ouvert et la bombe d’Hiroshima n’a été lancée que pour cette raison.

Nous avons deux objectifs décalés dans le temps : le socialisme qui consiste à collectiviser la production. Et le communisme qui consiste à collectiviser la consommation. Pour être plus précis, à rendre conscient et effectif le caractère collectif déjà présent dans le mode de production actuel de la consommation et de la production ! Ces deux objectifs sont considérés par la bourgeoisie, et plus encore par la petite bourgeoisie naïve et arrogante qu’elle manipule, comme l’abomination de la désolation.

A Auschwitz on a tué les juifs et à Hiroshima les Japonais, victimes sélectionnées par la haine hystérique des fauteurs directs de ces crimes, mais le noyau rationnel, sans lequel ces crimes n’auraient jamais été permis, était la nécessité d’intimider les prolétaires partout dans le monde et de refermer la session d’événements ouverte par la Révolution d’Octobre en Russie. On peut dire qu’ils ont atteint leur but.

Il est très clair que les contre-révolutions, ou les campagnes de reconquête impérialistes sont d’une cruauté et d’une virulence qui va bien au-delà de celle qui sont nécessaires pour atteindre leurs buts pratiques. Chevillée bien au cœur de la pensée bourgeoise, il y a l’idée qu’aucune alternative au capitalisme n’est légitime, que toute contestation de l’ordre économique est barbarie, et que tout, absolument tout, doit être fait pour empêcher socialisme et communisme de triompher. Et tout, absolument tout, a déjà été fait, depuis l’extermination des communards en 1871.

L’ordre bourgeois décadent est essentiellement terroriste au sens propre de ce terme.

Bien, ceci constaté, cela pourrait être très décourageant, car les gens qui se lèvent un beau matin pour entreprendre une révolution sociale, sont des gens ordinaires qui veulent une vie meilleure, ou conserver ce qu’elle a de bon, donc aux préoccupations banales et non-héroïques, et ils n’ont nulle envie affronter le feu nucléaire, les chambres à gaz, et autres traitements qui leur seront réservés s’ils veulent mettre fin à l’exploitation !

Jusqu’à présent, ce problème n’a pas été traité autrement que par l’oubli : un matin, lorsque leurs exploiteurs sont occupés à se disputer le butin, des prolétaires sans mémoire se relancent, en un combat douteux, à l’assaut du ciel, confiants en leur force et plein de fraîcheur et de naïveté. C’est peut-être bien ce qui est en train de se produire maintenant aux États-Unis.

Sans doute l’histoire révolutionnaire épique que nous laissons raconter comporte trop de martyrs et pas assez de victoires et de chefs victorieux. Gramsci et le Che sont des maîtres et des héros, mais leur destin tragique éclipse leur œuvre, et aussi les hommages hypocrites qu’on leur décerne servent à éclipser les figures victorieuses de la révolution que nous laissons dénigrer impunément.

Lors de la guerre révolutionnaire victorieuse avec l’aide cubaine qui fit suite à l’indépendance de l’Angola, le MPLA avait un mot d’ordre simple et concis : « la victoire est certaine». Il faut se souvenir de cette leçon.

Les prolétaires doivent-ils savoir qu’on leur fera payer cher leur audace démoniaque ? Qu’on leur fera payer avec la violence, et avec la misère, on leur fera payer l’outrecuidance de s’attaquer à l’ordre d’un monde inégalitaire dans son essence qui n’a quasi pas bougé depuis Christophe Colomb ?

L’élévation du niveau scolaire qui accompagne l’embourgeoisement des cerveaux dans le monde sans élever du tout le niveau de la conscience ne laisse rien ignorer des échecs et des pertes humaines dues aux révolutions, en rejetant les fautes sur leurs auteurs. Pour médias et historiens mainstream le patron des révoltés contre l’ordre social est Satan, comme dans la Bible, ce bon livre où le lot éternel des exploités est de couper le bois et de puiser l’eau.

Mais heureusement il y a les contradictions internes du capitalisme !

Aujourd’hui la contradiction principale oppose l’Occident sénescent au périphérique monde post-colonial, qui a été à la fois opprimé et instruit par l’impérialisme. En toute logique libérale, darwinienne (et non-raciste), les capitalistes occidentaux devraient s’effacer devant leurs collègues issus des continents émergents, se fondre à eux et accepter une position subalterne dans le partage de la plus-value, comme les Européens ont du l’accepter au profit des États-Unis. Et bien non ! Les Occidentaux, et parmi eux tout particulièrement les Anglo-Saxons n’acceptent pas le déclassement mondial, pour des raisons qui ne sont pas rationnelles, et qui les rendent dangereux. La situation dominante de leur partie du monde et le travail de propagande séculaire pour la justifier a fini par déteindre sur la psychologie individuelle des foules métropolitaines d’une manière inquiétante qui peut conduire à d’autres Auschwitz, d’autres Hiroshima, perpétrés sur d’autres victimes sous de bons prétextes qu’on trouvera à point nommé.

Ils n’ont même pas assez de dialectique pour comprendre que le « mal » quand il est apparu avait revêtu la forme du « bien » !

La contradiction entre travail et capital en Occident a été provisoirement et principalement résolue au bénéfice du dernier par l’externalisation de la production à toutes les échelles vers les périphéries, et l’éclatement de la contradiction impérialiste ruine ces équilibres et relance la lutte des classes dans les métropoles.

Mais la révolution ne commence pas avec des roulements de tambour, elle arrive sur des pattes de colombe. Si elle s’affiche à son de trompe, non seulement elle ne triomphera pas, mais elle risque de sombrer dans le ridicule.

Non seulement elle ne se gargarise pas d’un grand récit, mais il faut qu’une partie du camp du capital se méprenne et encourage, à son grand détriment, les premières expressions de ce qui va le supprimer, à la manière des aristocrates de la fin de l’Ancien Régime, tombés sous le charme des Lumières bourgeoises et de Jean Jacques Rousseau.

La scénographie révolutionnaire a été en grande partie récupérée, avec la complicité des idiots de l’extrême gauche, en schéma de déstabilisation des sociétés socialistes existantes et des puissances non-occidentales émergentes. La révolution, pour la plupart des gens qui la regardent à la télévision se réduit aujourd’hui à un happening médiatique dans un pays lointain contre un méchant dictateur, vieux et laid.

Ainsi les anti-autoritaires et anticapitalistes bien de chez nous qui tapent sur le tam-tam de l’interdiction d’interdire et qui s’égosillent en détournant Bella Ciao et d’autres hymnes révolutionnaires travaillent en réalité au maintien de la suprématie blanche. La différence entre un fasciste et un gauchiste est facile à voir et n’est pas bien grande : le gauchiste veut avoir sous la main des esclaves à domicile traités avec une bienveillance à double fond, en soignant sa bonne conscience, tandis que le fasciste veut exclure les non-blancs de son voisinage immédiat pour les pressurer à distance, sans doute parce qu’il a une conscience diffuse de la leçon du vieil Hegel, du fait que la dialectique du maître et de l’esclave tourne toujours à l’avantage de l’esclave.

La voie vers le socialisme en définitive ne peut être entreprise que dans un grand mouvement populaire égalitaire qui épouse les revendications élémentaires – et alimentaires- des masses. Des masses sans distinction de genre, de couleur, de religion, etc. Ces revendications qui n’ont rien de la grandeur romantique portent sur l’emploi, le salaire, le coût de la vie, le logement, la qualité des services publics (santé, éducation, transports, etc), la sécurité sociale mais aussi la sécurité dans l’espace public. Ces revendications dans la mesure où elles dépassent les préoccupations du quotidien sont formellement déterminées à préserver la paix, et exigent donc une politique internationale anti-impérialiste.

Ce mouvement doit ignorer délibérément toutes les questions de société qui sont mises en avant pour diviser les masses.

Si ce mouvement de nature réformiste radicale triomphait, c’est à dire s’il avait affaire à des capitalistes disposant d’une marge de manœuvre suffisante pour lui donner satisfaction de manière significative, il aboutirait contre nos intentions à renforcer le capitalisme. Mais on peut être à peu près sûr que l’état actuel des contradictions est tel que cette marge n’existe plus, contrairement aux années postérieures à 1945 du Plan Marshall et du Welfare State. La société capitaliste s’écroulera à cause de son incapacité à rien offrir de plus à ses prolétaires sur le plan matériel.

Mais la proposition d’un programme modeste et juste, confronté au refus brutal d’accorder satisfaction sur des demandes qui sont objectivement légitimes peut provoquer la rupture du bloc social dominant, aiguiser ses contradictions, rendre inopérantes ses forces de répressions et ses alliances internationales. Une stratégie frontalement révolutionnaire ne peut provoquer cette rupture, comme l’ont abondamment prouvé tous les échecs des militants des générations 1960 à 1980, auxquels le courage pourtant ne manquait pas et qui étaient proches de disposer de l’hégémonie intellectuelle. En face, il y avait un bloc qui était monolithique, et ce n’était pas le « bloc soviétique » comme on le croyait !

Dans une société comme la nôtre qui est menée par le bout du nez par le retour périodique des échéances électorales, ce programme ne peut pas ne pas s’exprimer dans une campagne électorale présidentielle, il doit être endossé par un candidat, et un parti qui lui donne une majorité de députés après sa victoire. Ceci pour le déclenchement de la situation, sachant qu’un programme social radical ne pourra jamais être imposé aux privilégiés du pouvoir et de la fortune et à leurs héritiers par la seule force des lois existantes.

C’est l’inattendue dans ce rôle Karine Lemarchand qui avait bien montré les limites de Mélenchon, qui s’est avéré complètement incapable de répondre à sa question : « Croyez vous que tous ceux qui sont assis sur leur tas d’or vont vous laisser faire ? » ; ce n’est pas tant le fait qu’il n’ait pas répondu à une question si difficile qu’on peut lui reprocher, que d’avoir été surpris par elle et de n’avoir pas préparé de réponse, pas même pour noyer le poisson !

Mélenchon jouait avec le feu, mais il ne faisait que jouer.

GQ, 28 août 2020

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