Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Epicentro :Ce n’est pas un film sur Cuba, mais sur l’illusion du “sauveur” étasunien…

Ce qui intéresse Hubert Sauper, le réalisateur d’ Epicentro, c’est la mondialisation et ses ravages sous commandement occidental, que ce soit en Tanzanie ou à Cuba. Mais avec cette île épicentre , il a trouvé l’origine du big bang US, le temps t1 de l’expansion hors frontières . Ce qui’intéresse Hubert Sauper c’est la “mise en place”des faits, de l’observation (dans le documentaire il n’y a pas mise en scène). Cela donne une écriture, un regard un peu en retrait, bienveillant, amical, mais pas militant. Ce n’est pas tout Cuba qu’il observe mais un quartier très particulier de la Havane,Centro Habana. Celui où s’accumulent les problèmes, celui où à côté des hôtels palaces les plus riches subsistent les Solares, cet entassement collectif où jadis les anciens esclaves, travailleurs du port étaient des Santeros ou des Abacuas. Il n’y a pas un seul logis sans son portrait de Fidel ou du Che.Et là, dans ce lieu, ce qui l’intéresse c’est le face à face entre ces Cubains et des milliers de touristes. Ceux-ci sont sur les traces de la révolution, ils filment les “clichés” et les enfants e”en guenille” mais propres et bien nourris. Cette île où il n’y a rien mais où personne ne manque de l’essentiel.. Ce qui l’intéresse c’est Cuba obligée de vendre sa misère et sa légende pour faire entrer des devises. « Cuba pourrait être un paradis, mais c’est un pays fait pour les étrangers », regrette une femme qui dit que c’est dur très dur mais que c’est la faute de l’impérialisme. .Que pense Hubert Sauper et surtout de quel mensonge et de quelle vérité est-il question dans ce film joyau ? Parce que sur le plan cinématographique c’est une incontestable réussite…

Tout part de deux événements intervenus en même temps ,juste après le plan d’un homme qui fume un gros cigare, nous voici jetés dans l’Histoire… le premier événement est l’invention du cinéma. Hollywood s’en empare comme outil de propagande. Ils vont convaincre le monde d’un mensonge, un trucage: l’illusion d’une Amérique généreuse venant sauver le monde. Le président Roosevelt Théodore à la tête de ses “boys” sur le modèle du cirque de Buffalo Bill, le cow boy, pour mieux faire oublier ce qu’a été la conquête de l’ouest. Les Etats-Unis avec un président affabulateur comme ils le sont tous, Théodore Roosevelt. Dans le même temps, cela se passe le 15 février 1898, Cuba se bat contre le colonisateur espagnol, se déroulent les guerres d’indépendance. Des guerres terribles dans lesquelles commence à se créer l’unité raciale contre le colonisateur. Un chiffre dit tout: à la même époque la conquête de l’Inde a nécessité 50.000 soldats, mais pour lutter contre les indépendantistes cubains, la couronne d’Espagne a envoyé 500.000 soldats. Beaucoup de choses se sont fondées à ce moment-là et chaque enfant cubain sait tout cela. Au moment où les révolutionnaires indépendantistes vont l’emporter, les Etats-Unis prétendent que les Espagnols ont fait exploser un de leurs navires l’USS Maine et ils débarquent volent la victoire et s’installent en colonisateurs.

Oui mais voilà l’explosion du Maine est un trucage, fabriqué avec une maquette dans une baignoire, un jeu d’enfant reconstitué dans le film, l’invention de l’intervention libératrice, alors qu’il s’agit de soudards portant la drogue, le jeu et la prostitution. Les Etats-Unis sont puérils et effrayants, d’autres enfants, les petits Cubains, le leur disent.

Comment un documentaire ,ou plutôt selon la caractérisation anglo-saxonne le cinéma de non fiction, va-t-il exprimer l’invention, la fiction de la générosité américaine débarrassant un pays de ses colonisateurs ou de ses tyrans pour lui faire vivre l’enfer? Un scénario, qui ne cesse de se rejouer aux quatre coins de la planète , un remake de ce qui a été conçu pour Cuba. Et là, nous avons tout un travail sur l’image, sur le mentir qui n’a rien de vrai, le plaisir de jouer avec des maquettes en donnant l’illusion des explosions, des tremblements de terre, un jeu d’enfant auquel ses interlocuteurs, dessinateurs,cinéastes cubains se prêtent avec joie. L’image ment et les enfants qui regardent le spectacle sont mille fois plus politisés qu’un adulte occidental: “mensonge, mensonge” crient-ils.. Sont-ils eux même les produits d’une propagande ?

Il y a chez Hubert Sauper,une mise en place de la fiction, à tel point que l’histoire inventée se traduit par des extraits de Melies, le contraire des frères Lumières et du documentaire : le débarquement sur la lune. les Etats-Unis sont allés sur la lune, ils l’ont salie, ils n’en ont rien fait… Ils sont comme ça… Pour rien…

Hubert Sauter a l’art de se débarrasser de sa caméra pour privilégier l’apprivoisement de ses personnages, si vivants, si vrais. Il est resté trois années pour se faire accepter, en opposition avec cette autre invasion celle des touristes, ceux qui ne veulent pas connaître mais posséder, pas aimer mais jouir, salir, croire savoir parce qu’ils se sont “fait”un pays pendant huit jours en se prenant pour des rois… L’île soumise au blocus est obligée de chercher des ressources chez les touristes qui les traitent comme un zoo, des bêtes à donner du plaisir mais la population d’un haut niveau interroge cette domination teintée de racisme, ne s’en débarrasseront-ils jamais ? Hubert Sauper se donne ce temps-là, celui de connaître, mais il n’est pas un militant si ce n’est celui des temps longs de l’art. Pourtant il ne fera pas les contresens de ses interlocuteurs des médias spécialisés du cinéma qui dans leurs interviews parlent du peuple de Cuba tel qu’il le décrit comme “surexploité” (par son régime bien sur affirment ces incultes qui croient tout savoir)…

Epicentro

Huber Sauperfait un détour, il en a lui aussi , avoue-t-il, après les touristes. Il est né et a grandi dans les Alpes tyroliennes, en Autriche dans l’hôtel de ses parents. il partage la frustration cubaine devant les touristes , ses parents s’occupaient d’eux et pas de lui. La voix off du documentaire devient “je” , “l’objectivité” de ce qui est montré devient la subjectivité du narrateur pour ne pas mentir. Peut-être pour dire son acceptation de cette nécessité parentale: il faut vivre, éduquer les enfants quitte à paraître les priver. Pour le droit à l’éducation, à la santé,à la culture, le paradis est réservé aux touristes et les Cubains vivent l’étranglement du blocus. Dans une vitrine d’un hôtel de luxe à la chambre de 500 euros la nuit, un stylo de plus de 3000 dollars alors que la mère de l’enfant aide soignante dans un hôpital gagne 4 dollars par jour. L’enfant qui prend des poses naturellement télégéniques réclame un dollar mais le photographe déclare qu’il ne paye jamais, l’enfant devrait être honoré, il reçoit simplement un stylo bic réclame de l’hôtel.

Nous avons vécu parfois autre chose, cette découverte du peuple cubain en tant que militants, autre chose, même pour un temps réduit, cette familiarité, cette confiance, un cadeau qui donne sens à nos engagements mis à l’épreuve…l’illusion du paradis tropical? Comment dire ces moments inoubliables à jouer au dominos tandis que les mangues mures chutent dans le patio?… Par moment le réalisateur, qui certainement ne partage pas nos idées communistes, arrive dans ces notations minuscules à dire la mondialisation imposée par les USA parce qu’il sent la plaie d’où jaillit le génie Cuba . C’est dans les manques de l’enfance, dans ses jouets que naît le besoin d’art… Cuba ne cesse de bricoler le merveilleux de l’enfance de l’humanité et les vieillards n’y renoncent ni à danser, ni à aimer. Parce qu’il ne reste qu’à aimer et à danser et ça vois-tu c’est terrible disait Alfred de Musset dans la Confession d’un enfant du siècle, celui qui attend depuis si longtemps notre révolution à nous le reste de l’humanité.

Ceux qui empêchent les touristes de ramener dans les hôtels femme de rencontre et surtout enfants, sont non seulement des employés “connards” répressifs mais souvent des militants qui traquent le tourisme pédophile pratiqué à grande échelle dans la Caraïbe.

L’île utopie est-elle ou non le paradis ? Dès Thomas More l’utopie est une île… Et là le film touche parfois au miracle cubain, ce niveau de conscience, d’exigence, les danseurs, les acteurs subissent une discipline militaire pour donner le meilleur d’eux-mêmes. De la violence de cette contradiction en sort toute la suavité imaginable… Et pourtant ce avec quoi est bricolé ce paradis, ce rêve d’homme nouveau est si pauvre, si misérable..

C’est là peut-être que le parti du film trahit Cuba, cette confrontation de Cuba epicentre à trois âges de son histoire: l’invasion de l’Amérique par Chrisophe Colomb, puis la traite négrière, et enfin l’impérialisme américain et Cuba sentinelle qui tente de dégager un autre destin à l’humanité, est limité à un huis clos, celui de la survie par et dans le tourisme. La population extraordinairement douée obligée de jouer un rôle celui de la dernière révolution communiste, un zoo… face à des Américains ou des Européens ivres morts dans leurs voitures américaines décapotables rose bonbon… ou ces photographes à l’affût de la beauté mulâtre d’une fillette ou d’un petit enfant… dans un décor qui s’effondre… Cuba c’est ce huis clos de l’esclavage qui se poursuit mais c’est aussi bien autre chose… A un moment, la caméra sort de la Havane pour aller à la rencontre d’une raffinerie abandonnée et qui jadis appartenait à Coca cola. Un vieillard noir parle du temps où cela marchait, sent-on du regret, un jeune homme intervient, il ne veut pas de cette image-là pour définir Cuba, il s’introduit dans le champ entre le vieillard et la carcasse de la raffinerie. Filme-moi, moi aussi dit-il… Les Cubains savent tout du trafic de l’image… Les raffineries, le sucre de Coca-cola et le rhum qui rend les yeux vitreux… Non c’est aussi tous les dérivés de la canne que la recherche a réussi à créer… Ce sont les,médecins, les chercheurs, il n’en sera pas question… je sens dans ma bouche le goût du sucre chaud tel qu’il sort des étapes mécanisées du raffinage ou la canne mâchonnée… mas je revois aussi les institut de recherche.

Parce que Cuba ce n’est pas seulement ce huis clos dans lequel les petites filles se fardent comme si les attendaient le destin d’une prostitution … C’est la recherche, biologie, médecine… C’est ce qui paraît dans ce film, la force des femmes cubaines, le fait que non seulement les descendants d’esclaves, mais une petite fille extraordinairement douée revendique un accomplissement… Cuba ce sont les femmes cubaines… en ce moment même dans le groupe de scientifique qui a trouvé un vaccin baptisé “souveraineté” sur 34, il y a 21 femmes…

Et même dans ce huis clos, privilégiée par la caméra entre les descendants d’esclaves confrontés aux touristes, les Cubains frisent l’excellence. La merveilleuse petite fille Léonelis qui veut devenir actrice donne la réplique à Oana Chaplin, pour jouer un conflit typiquement féminin, mère et fille, une scène de dispute d’une grande violence entre une mère et sa fille qui veut sortir avec son petit copain. La petite Cubaine apporte la réplique à l’artiste confirmée… Elles nous font une démonstration , comment donner la force des sentiments aux autres, devenir un athlète des sentiments,une discipline, une connaissance de soi pour l’offrir aux autres, rendre le geste mécanique comme Charlot, pour tout dire. Cuba et ses enfants sont d’immenses acteurs, travaillant leurs dons, ils apportent au monde cette représentation de la dignité humaine, malgré la vulgarité des touristes qui reproduit celle des ces invraisemblables présidents dont le dernier est insupportable. “Comment s’appelle-t-il?” ce clown, mais ils le sont tous… dit une femme qui ose aller dans une décapotable au risque de passer pour une putain dans son quartier, mais pour un peu s’aérer…

Oana Chaplin spontanément prend en charge l’épuisement de la superwomen cubaine, la violence du familier, elle nous transforme en voyeur, et Léonelis se hisse à sa hauteur. Oana est une grande actrice,une musicienne, elle convoque Charlot lui aussi un migrant, de ce ceux que déteste Trump, Chaplin a été exilé à un moment de cette histoire… et Oana ne l’a pas oublié… Comme ce Chilien installé à Cuba ou ce professeur de Tango autrichien. A cause de l’excellence de leur profession, ils savent qu’il se passe là un moment exceptionnel et tragique de l’Histoire de l’humanité , tentant de se réveiller de ce faux rêve américain…

A Cuba, tel que le décrit Epicentro tout se joue entre vrai et faux , Léolines va sur cette photo dans le hamac sur le toit de la maison délabrée et dit que le paradis c’est ça…

Il faut aimer beaucoup Cuba pour saisir la vérité de ce film.

il y a là une écriture mais elle doit beaucoup à la rencontre avec Yves Deschamps , un monteur d’Orson Wells (encore une victime d’Hollywood) qui a trouvé la structure de “la mise en place”, mais le film c’est sa force demeure ouvert. Effectivement dans les scènes où il est décrit aux enfants la fable racontée par les Etats-Unis, le présentateur fait songer à ce magicien amateur que voulait être Orson Wells… lui qui baptisait le cinéma “l’art de l’illusion”…

Est-ce un hasard si j’ai vu ce film en pensant à Cuba qui attendait le cyclone… C’était la première fois où depuis le déconfinement un film me donnait envie de salle obscure. Mais là-bas à Cuba, ils attendaient , le 24 août 2020, la venue de “Laura” ,comme chez Preminger, « I shall never forget the week-end Laura died » tenter de connaître, tomber sous le charme pour lutter contre la mort suivre des fantômes sur un écran… Mais malgré son nom de femme un cyclone c’est terrible… Je me souvenais de cette attente, Fidel à la télé expliquant à la télévision l’avancée du monstre, pendant ce temps là ceux près des côtes en train de déménager les meubles là où ils seraient protégés… Fidel était déjà âgé, il restait dans le studio, mais longtemps il est allé au point le plus dangereux. L’attente du cyclone, la capacité à faire face mime la réaction collective face à l’invasion nord américaine, “Si tu as peur de ça que feras tu devant les yankees?” me disait-il, je protestais “je préfère les yankees” “parce que tu crois qu’ils t’épargneront, parce que tu es comme eux du “premier monde” me répondait-il… Tous les gens se calfeutraient, fermant le plus possible portes et fenêtres, les voitures balais qui passent dans les rues pour inviter les gens à se mettre à l’abri… La peur qui monte, enfin chez moi parce que mes amis Cubains me guettaient du coin de l’oeil tandis que les première rafales venaient sur nous et que les entrailles serrent…La maison me semblait un fétu de paille. Je feignais le calme mais je tremblais intérieurement et ce n’était encore rien, il y avait le déchaînement, l’impression que l’immeuble allait céder, la panne d’électricité, la nuit avec les voisins… La peur surmontée et la découverte des dégâts le lendemain… Il est étrange que je veille avec vous amis cubains, tout en commençant à écrire sur le documentaire “epicentro” vu hier… Epicentro où l’oeil du cyclone de l’Histoire que je ne cesse de partager avec vous…

Laura n’a été qu’une tempête tropicale, La Havane se réveille propre comme un sou neuf, mais une tempête trpicale, ce n’est pas rien… L’avant dernière image du film décrit ses protagonistes, enfants, adultes, en proie aux flots déchaînés qui sautent au-dessus de la rembarde du Malecon, cela n’a l’air de rien mais c’est très impressionnant , les vagues déferlent mais elles vous aspirent vers la mer, la force de la pluie vous emporte et eux ils rient…

Après Oana Chaplin chante, elle a trouvé le paradis… tandis que défile le générique…

Epicentro, qui sort ce mercredi 19 août, a reçu l’aide sélective à l’édition vidéo (aide au programme) du CNC.https://player.vimeo.com/video/433650494?title=0&byline=0&portrait=0

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