Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’Etat chinois garde la main sur l’économie

INTERNATIONAL

Dans la revue Alternative économique, un article bien documenté sur le socialisme de marché chinois et sur l’évolution actuelle qui selon l’auteur renforce à la fois le secteur public et le rôle du parti communiste. Un complément aux textes parus ici, en particulier ceux de J.Cl. Delaunay sur le socialisme en Chine (note de Danielle Bleitrach pour histoire et société).

MARY-FRANÇOISE RENARD31/12/2019

https://www.alternatives-economiques.fr/users/mary-francoise-renard

L’arrivée au pouvoir de Xi Jinping marque le renforcement du poids du Parti communiste à tous les niveaux de prises de décision des entreprises publiques.

L’évolution de l’économie chinoise au cours des quatre dernières décennies interroge les rôles respectifs de l’Etat et du marché dans sa forte croissance. En effet, paradoxalement, après un développement indiscutable des marchés et du poids des entreprises privées, l’Etat apparaît toujours comme un acteur omniprésent.

En 1978, au moment des premières réformes de l’économie chinoise, les entreprises appartiennent à l’Etat. L’objectif des réformes impulsées par Deng Xiaoping est d’introduire des éléments de marché dans une économie centralement planifiée. Pour cela, les prix de marché remplacent progressivement les prix administrés. Des firmes privées se développent dans les services comme les restaurants ou les commerces, mais ce sont de toutes petites entités.

Le secteur privé ne sera officiellement reconnu qu’en 1988. Les entreprises collectives qui apparaissent lors de l’affaiblissement des monopoles d’Etat sont des actrices cruciales de la forte croissance de l’économie chinoise au cours des années 1980 et 1990. Bien qu’elles appartiennent à une collectivité locale, elles sont, par leur statut, soumises à une logique de concurrence et ne survivent que si elles dégagent des profits.

Champions nationaux

Cette expérience assez originale met en évidence le rôle de la concurrence dans la croissance, sans privatisations puisque celles-ci ne se produisent qu’au début des années 2000. En 2003, la Sasac, une commission chargée de la supervision des entreprises publiques, est créée, avec pour mission de faire émerger des champions nationaux. De nombreuses PME d’Etat sont privatisées, entraînant des licenciements importants. Mais les firmes publiques restent dominantes dans les secteurs clés où elles vont pratiquement éliminer les entreprises privées : charbon, pétrole, gaz, électricité…

Pendant dix ans, les concentrations se multiplient, et pour 2014 le classement « Fortune » des 500 plus grandes entreprises mondiales donne trois entreprises d’Etat chinoises parmi les quatre plus grandes en matière de chiffre d’affaires : State Grid (gestionnaire de réseaux électriques), China National Petroleum et Sinopec Group, respectivement aux 2e, 3e et 4e places. Dans le même temps, l’ouverture du capital des firmes publiques au secteur privé, surtout chinois mais pas seulement, est encouragée par les autorités. Elle permet à la fois d’améliorer la compétence en matière de gouvernance et de bénéficier d’un apport de fonds, tout en maintenant le contrôle de l’Etat qui reste majoritaire et garde le pouvoir sur les décisions stratégiques.

Après la crise financière mondiale de 2008, les entreprises publiques sont le vecteur de la mise en place du plan de stimulation décidé par le gouvernement pour faire face à la forte baisse de la demande étrangère. Elles forment le pivot de la politique d’investissement dans les infra­structures qui visent à soutenir la crois­sance économique. En conservant dans leur effectif plus de personnel que ce dont elles ont réellement besoin, les entreprises publiques jouent par ailleurs un rôle central en amortissant les conséquences de la concurrence sur l’emploi.

Ceci n’est faisable que parce qu’elles ont la possibilité d’être renflouées lorsqu’elles sont déficitaires. Les banques, en effet, préfèrent prêter aux entreprises publiques et bénéficier ainsi de la garantie de l’Etat, ce qui pénalise le secteur privé. Les facilités dont bénéficient les entreprises publiques conduisent à un certain nombre de déséquilibres, particulièrement au niveau provincial : surinvestissement pour soutenir la croissance ou surendettement. Cela se traduit notamment par l’existence de « firmes zombies », c’est-à-dire de firmes insolvables, maintenues artificiellement en activité. Par ailleurs, le faible contrôle exercé par l’Etat actionnaire sur les dirigeants des entreprises publiques permet le développement d’une forte corruption.SUR LE MÊME SUJETCHINE

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La logique politique prime

En 2013, l’arrivée au pouvoir de Xi Jinping s’accompagne d’une nouvelle vague de réformes visant à améliorer l’efficacité des firmes publiques. Annoncées en 2014, ces réformes ne sont effectives qu’à partir de 2016, sans doute en raison de résistances et de négociations difficiles au sein du gouvernement. Leur objectif est de renforcer la rentabilité des firmes publiques tout en maintenant la primauté de la logique politique sur la logique de marché, le pouvoir décisionnel du Parti communiste chinois (PCC) étant renforcé.

Deux sortes de firmes sont ainsi définies : les firmes dédiées aux services publics et celles dédiées aux activités commerciales. Ces dernières sont elles-mêmes divisées en deux catégories : celles qui sont dans des secteurs appelés à devenir complètement concurrentiels, très ouvertes aux capitaux privés, dans lesquelles l’Etat pourrait devenir minoritaire, et celles situées dans des activités qui peuvent être liées à des secteurs clés ou à la sécurité nationale. Ces dernières doivent servir les stratégies nationales, notamment en matière de politique économique.

Le problème majeur des entreprises d’Etat tient à la multiplicité des objectifs qui leur sont assignés. Elles doivent aujourd’hui soutenir la politique industrielle de développement de l’innovation et de la technologie nationales, tout en améliorant leurs performances et en accompagnant la politique macroéconomique. L’importance de la réforme actuelle dépendra de la proportion d’entreprises publiques affectées à la catégorie « complètement concurrentielle ». Elle dépendra aussi de la latitude laissée aux firmes dans leurs choix de gestion et d’investissement. Si celle-ci est significative, la réforme pourrait conduire à un véritable progrès.

On assiste par ailleurs depuis quelques mois à une « nationalisation » de certaines entreprises privées qui sont en partie rachetées par des firmes publiques, notamment pour bénéficier des avantages de celles-ci, la distinction entre privé et public étant parfois peu claire. Mais dans le même temps, le gouvernement incite les banques à accorder davantage de prêts aux entreprises privées, car la croissance chinoise a aussi besoin de la dynamique du secteur privé.

Si l’Etat s’est bien désengagé depuis 1978, autorisant une économie beaucoup plus fondée sur les mécanismes de marché, et ouvrant les entreprises d’Etat aux capitaux privés, il garde une position stratégique en matière de propriété. Le secteur public est concentré dans les activités intensives en capital (ressources naturelles, industries lourdes, transports), bien sûr dans les services publics, et présent de façon marginale dans l’agroalimentaire, le textile et l’habillement… Mais surtout, il contrôle environ 85 % du secteur bancaire, la majeure partie du réseau de transport et télécommunications et des services liés à l’éducation, à la science et à la technologie. En outre, le PCC possède et contrôle l’ensemble des médias publics.

Ainsi, bien que globalement minoritaires par rapport aux entreprises privées en matière de production, d’emploi et d’investissement, les entreprises d’Etat se trouvent en situation de monopole dans les secteurs centraux de l’économie et ont donc un pouvoir beaucoup plus important que ne le suggère une observation rapide des statistiques. A ceci s’ajoute, depuis la présidence de Xi Jinping, le renforcement du poids du Parti à tous les niveaux des prises de décision des firmes publiques. Le maintien au pouvoir du PCC est l’objectif premier du gouvernement, qui a pour cela besoin de conforter sa légitimité économique, tant aux yeux de la population que des investisseurs, en s’appuyant sur les firmes publiques, tout en soutenant le développement du secteur privé. 

Mary-Françoise Renard est professeure d’économie à l’université Clermont-Auvergne et responsable de l’Institut de recherche sur l’économie de la Chine au Cerdi (Centre d’études et de recherche en développement international).

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