Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

[Souvenons-nous] 1990 : L’affaire des couveuses koweitiennes

A propos de l’Irak,on se souvient du témoignage délirant de Colin Powell sur “les armes de destruction massive”, mais c’est toute l’opération qui a été un montage depuis la manière dont Saddam a été incité à occuper le Koweït jusqu’à son procès en passant par cette invraisemblable histoire par laquelle on a vendu la guerre des “bébés en couveuse”. Ce sont les mêmes, avec les mêmes agences publicitaires qui sont aujourd’hui sollicités pour nous vendre les trafics d’organes Ouïghours, la stérilisation des femmes, les “démocrates de Hong Kong” et maintenant une secte Falun Gong…

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https://www.les-crises.fr/mot-cle/manipulation/

Petit rappel – j’étais enseignante à l’Université de Provence, j’assurais un cours de sociologie des médias et de la communication. Je leur ai soumis ce sujet pour analyser la manière dont une agence de publicité, appartenant à la plus grande agence mondiale a monté cette affaire totalement fausse des bébés en couveuse (note de Danielle Bleitrach).

En 1990, une vaste campagne de communication est lancée aux Etats-Unis pour inciter le pays à s’engager dans la guerre. L’un de ses points forts, qui marquera profondément l’opinion publique, est l’affaire des incubateurs. Selon des sources koweïtiennes, les soldats irakiens se sont livrés à des atrocités dans les hôpitaux de Koweït City. Ils auraient débranché les alimentations en oxygène des incubateurs et tué les bébés qui s’y trouvaient. Tout cela pour récupérer l’appareillage médical et l’envoyer à Bagdad.

La rumeur de ces atrocités se propage. Elle devient une quasi-certitude avec les auditions de la commission pour le respect des droits de la personne. Pour la première fois, un témoin direct parle de ces actes de sauvagerie. Il s’agit de Nayirah, une jeune fille de quinze ans.

Le 14 octobre 1990, une jeune femme koweïtienne, appelée par les médias « l’infirmière Nayirah », témoigne, les larmes aux yeux, devant une commission du Congrès des États-Unis. L’événement est retransmis rapidement par les télévisions du monde entier :

« Monsieur le président, messieurs les membres de ce comité, je m’appelle Nayirah et je reviens du Koweït. Ma mère et moi étions au Koweït le 2 août pour passer de paisibles vacances. Ma sœur aînée avait accouché le 29 juillet et nous voulions passer quelque temps au Koweït auprès d’elle. […] Pendant que j’étais là, j’ai vu les soldats irakiens entrer dans l’hôpital avec leurs armes. Ils ont tiré les bébés des couveuses, ils ont pris les couveuses et ont laissé mourir les bébés sur le sol froid. J’étais horrifiée. Je ne pouvais rien faire et je pensais à mon neveu qui était né prématuré et aurait pu mourir ce jour-là lui aussi. […]

Les Irakiens ont tout détruit au Koweït. Ils ont vidé les supermarchés de nourriture, les pharmacies de médicaments, les usines de matériel médical, ils ont cambriolé les maisons et torturé des voisins et des amis. J’ai vu un de mes amis après qu’il a été torturé par les Irakiens. Il a 22 ans mais on aurait dit un vieillard. Les Irakiens lui avaient plongé la tête dans un bassin, jusqu’à ce qu’il soit presque noyé. Ils lui ont arraché les ongles. Ils lui ont fait subir des chocs électriques sur les parties sensibles de son corps. Il a beaucoup de chance d’avoir survécu. »

Ce témoignage, avec d’autres comme ceux conçus par l’agence de communication Rendon Group (en) chargée de superviser la communication du CIA et du Pentagone, a beaucoup ému l’opinion publique internationale et a contribué à ce qu’elle soutienne l’action des puissances occidentales contre les armées de Saddam Hussein lors de la guerre du Golfe.

En fait, ce témoignage était entièrement faux. (Source)

La jeune fille, coachée selon certaines sources par Michael Deaver, ancien conseiller en communication de Ronald Reagan, s’appelait al-Ṣabaḥ, et était la fille de l’ambassadeur du Koweït à Washington Saud bin Nasir Al-Sabah. L’association Citizens for a Free Kuwait, organisée par le gouvernement du Koweït exilé, avait commandé cette campagne à la compagnie de relations publiques Hill & Knowlton (pour la somme de 10 millions de dollars).

Photographie de famille sur laquelle l’on retrouve la jeune « Nayirah » (à gauche) et l’ambassadeur Saud Bin Nasir Al-Sabah.

Il est surprenant que le congrès américain n’ait pas fait une enquête préalable sur l’identité de la jeune fille avant de la laisser « témoigner » devant leur assemblée. La machination a fonctionné grâce à l’intervention de Lauri Fitz-Pegado, qui a convaincu les députés que l’identité n’était pas révélée pour protéger la famille de la jeune femme. Lauri Fitz-Pegado avait travaillé pour le gouvernement auparavant, dans l’Agence de l’Information.

Par ailleurs, le gouvernement américain aurait payé 14 millions de dollars à cette compagnie pour l’avoir aidé à médiatiser la guerre du Golfe sous un jour favorable à l’intervention occidentale .

Les audiences sont télévisées par CNN. John Porter, vice-président de la commission, rencontre le jour même le président Bush à qui l’on a montré les images et s’en dit bouleversé. Il utilisera l’affaire des incubateurs dans tous ses discours. Des organisations non gouvernementales, dont Amnesty International, reprennent l’information et donnent le chiffre de 372 bébés tués. L’affaire ne sera pas évoquée moins de sept fois dans le débat au Sénat qui, finalement, vote de justesse (cinq voix) l’intervention militaire. Le Conseil de sécurité de l’ONU consacre une réunion spéciale aux droits de l’homme au Koweït. Là encore, l’affaire des incubateurs est largement citée. Deux jours après, à l’unanimité moins l’abstention de la Chine, le Conseil de sécurité autorise le recours à la force.

J’ai retrouvé par chance cet excellent reportage de Neil Cherofky « To Sell A War » (Vendre une Guerre) qui démontait tout ceci en 1992 :

(en anglais, mais Youtube peut créer et traduire les sous-titres à la volée (option Sous titres)

Au début du reportage, John MacArthur, du «Harpers», explique qu’«il fallait vendre la guerre aux Américains pour les convaincre d’y participer». Ce qui fut fait.

Dès que les Irakiens ont été chassés du Koweït, les organisations non gouvernementales et des organismes comme l’OMS (Organisation mondiale de la santé) envoient sur place des experts pour évaluer les dégâts commis dans les hôpitaux et interroger les personnels médicaux. Tous sont formels : l’affaire des incubateurs n’a jamais existé. Le reportage du Canadien interroge longuement les spécialistes. Ils ne laissent plus aucun doute sur le mensonge. Un responsable d’Amnesty International explique même que son organisation a publié un rectificatif après la guerre pour dire qu’il n’y avait pas eu de bébés tués dans leurs incubateurs.

Mais il ne s’agit pas que d’une rumeur colportée et reprise. Le reportage démontre la manipulation.

Au bout des vingt-trois minutes de reportage, le journaliste pose de graves questions, celles des dangers pour la démocratie d’une agence de communication qui fixe les termes d’un débat en les ayant auparavant faussés et qui tente de manipuler par la désinformation toute une opinion publique, avec en ligne de mire la volonté de faire entrer le pays dans la guerre.

En mars 1991, l’Humanité enquêtait et montrait comment un fait réel avait servi à manipuler l’opinion :

Fin août un chef de la résistance koweitienne, que l’on dit être un membre de la famille régnante, convoque la presse internationale à Kafhji pour raconter avec force détails les exactions auxquelles se livrent les troupes irakiennes d’occupation. Il évoque le cas de l’hôpital Moubarak qui, comme les quatre autres centres hospitaliers publics de la capitale de l’émirat, aurait été dévasté. Des bébés prématurés sont morts après avoir été arrachés de leur couveuse, précise-t-il.

L’information est reprise dans le rapport publié en décembre par Amnesty International sur la «situation humanitaire au Koweit sous occupation irakienne». Il y est question de la mort de «300 enfants prématurés».

Vendredi 1er mars, après enquête auprès des responsables de l’hôpital Moubarak, le médecin-chef militaire français Guy Angel affirme aux journalistes : « l’hôpital n’a pas été dévasté. Il a toujours fonctionné normalement sauf pendant les quatre jours de l’offensive terrestre. Aucun cas d’exaction ne m’a été signalé ». Il n’a pas entendu parler de l’affaire des bébés prématurés.

A l’hôpital nous n’avons rencontré personne qui fût au courant. Directeur adjoint des services de santé de l’Émirat, M. Jehad Al Gharabally, raconte dans «le Monde» des 3 et 4 mars : « Je connais le médecin qui a lancé cette rumeur. Mais aucun hôpital ne m’a signalé de tels actes. En revanche, les Irakiens peu avant leur fuite ont emporté un lot de couveuses à Bagdad. Mais ils ne savaient pas que nous en possédons des stocks importants. Cela ne nous a pas manqué. ».

N.B. en Démocratie, ce reportage serait traduit en français et montré dans les écoles – je dis ça, je dis rien…

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