Ce texte, dont Marianne nous a déjà traduit l’introduction, vient d’Ukraine où la propagande made in USA n’a plus de frein… La secte Falun Gong créature du milliardaire chinois et de son acolyte Steve Bannon, ne se contente plus d’agir en Chine, elle s’est implantée en Ukraine où elle bénéficie des circuits de l’invraisemblable Ihor Kolomoïsky qui a tout de même réussi à faire élire le président de la République actuel et qui bénéficie de l’appui et des circuits de l’ineffable BHL… C’est de la même officine, nous l’avons vu, que proviennent des films comme “l’ombre de Staline”… Ils n’en finissent pas de s’attaquer à Lénine, au communisme, mais aussi à Marx. Plus la propagande est grossière, plus ça marche tant ça accompagne un travail d’aliénation des citoyens. D’où la réédition et la diffusion d’un vieil ouvrage de la guerre froide, traduit jadis y compris en français qui fait de Marx un adepte de Satan… Ce sont ces officines qui produisent les fakes news sur les Chinois vendant des organes “hallal” musulmans Ouighours, plus c’est gros, plus ça passe… C’est l’avantage de ce Marx Satan diffusé par la secte Falun Gong qui s’est installée en Ukraine. Mais on dit qu’à toute chose malheur est bon, ce qui fait que ce camarade ukrainien a relu Marx pour comparer les propos du pasteur avec les textes réels. Parce que nous avons là la méthode de ces gens-là, ils tronquent les textes, les coupent, les isolent de leur contexte et les envoient sur les réseaux sociaux où ils font le miel d’individus totalement décérébrés (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop pour histoire et société).
Comment le pasteur Wurmbrand cite ses sources
J’avoue que “Marx et Satan” n’est pas d’une lecture facile. Une chose est quand une personne a des opinions politiques opposées. Et tout autre chose – quand elle est complètement dépourvue de logique, d’humour et de sens de la mesure, de la notion du “sens figuré des mots et des expressions”, de connaissance du contexte culturel de l’Europe du XIXe siècle. Ce dernier point pour un Européen du XXe siècle est particulièrement honteux, car il ne s’agit pas de connaissances hautement spécialisées.
Cependant, il y a aussi un problème plus important. Bien que les éditeurs nous promettent dans leur présentation : “La majorité des citations sont traduites à partir de sources primaires”, il semble que l’auteur de “Marx et Satan” n’ait même pas tenu entre les mains les œuvres de Marx auxquelles il se réfère, mais qu’il ait simplement demandé à ses assistants d’en relever tous les endroits où le diable est mentionné et tout ce qui s’y rapporte, ou… Enfin, faites vos conclusions vous-même.
L’opus du pasteur Wurmbrant est destiné aux personnes qui ne veulent pas vérifier les références. Ne lui donnons pas ce plaisir et comparons ce que le pasteur a tiré des textes de Marx avec ce que Marx lui-même a écrit.
1.
“Le poème “La Fierté humaine”, dans lequel Marx admet ouvertement que son but n’est pas d’améliorer, de réformer ou de révolutionner le monde, mais de détruire le monde et la joie qu’il en tire, contient les lignes suivantes :
“Avec mépris, d’une main cuirassée,
Je vais frapper le monde au visage,
Et je vais voir ce nain géant s’écraser,
Dont la chute n’éteindra pas mon ardeur.
Comme Dieu, je pourrai marcher,
Victorieux sur les ruines du Royaume détruit.
Chaque mot que je prononce est une fièvre et un conflit,
Et je me sens égal au Créateur” (Wurmband, p. 30).
Marx a bien un tel poème et des lignes similaires. Seulement en version intégrale, voilà à quoi elles ressemblent:
…Mais quand battent à l’unisson
Les cœurs irradiés de lumière
Et se confessent l’un à l’autre :
Il est bon d’être ensemble jusqu’à la fin.
Le brasier conjoint des âmes
Réchauffera le monde avec la musique des rêves.
Et les cœurs fusionneront leurs désirs
Par les lois de la beauté éternelle.
Si j’avais le courage de le dire, Jenny,
Que le même feu a brûlé nos âmes…
Et qu’elles sont mues d’un même mouvement,
Que toi et moi avons été emportés par un seul courant…
Je pourrais provoquer le monde entier
Parjure à un combat sans merci,
Puisse-t-il tomber, énorme…
Il n’éteindrait pas la flamme dans sa chute !
Comme un dieu, par l’univers
Je marcherais au milieu des ruines,
Chaque mot est un acte,
Je suis le créateur de l’existence terrestre. (Œuvres complètes, T. 40, p. 496)
La “Fierté humaine” figure dans le “Livre d’amour”, que le jeune Karl a écrit pour Jeanne von Westphalen, ainsi que dans le “Livre de poèmes dédiés à mon père”. Je pense que le lecteur peut comparer ce qu’un jeune homme amoureux a écrit à sa fiancée avec ce que le pasteur inquisitorial essaie de lire dans ses paroles intimes.
Les tentatives d’identifier les personnages et leur paroles avec l’auteur jouent parfois une mauvaise plaisanterie au pasteur. Ainsi, citant le poème de Marx “La fille pâle”, le pourfendeur du satanisme tente d’en extraire une “confession autobiographique” :
“J’ai perdu le ciel,
J’en suis bien conscient.
Mon âme, autrefois fidèle à Dieu,
Est prédestinée à l’enfer”.
“Les commentaires sont inutiles” – triomphe-t-il (p. 19). Accrochez-vous bien, chers lecteurs, en ouvrant les Œuvres complètes, vol. 40, p. 501 :
…j’ai perdu le ciel,
Ma consolation ;
Mon âme n’a pas été donnée
A Dieu, mais à l’enfer.
Mais de la tête jusqu’aux pieds
Il était beau comme un Dieu,
Son regard était sans fond,
Puissant et clair.
Et il ne m’a pas regardée,
Un seul instant,
Et je suis livrée au feu
Maintenant et pour toujours.
Une autre va le rejoindre,
Se presser sur sa poitrine,
Et mon cœur va défaillir,
Battre la chamade…
Dans les verbes allemands, bien sûr, il n’y a pas de terminaison qui indique le genre masculin ou féminin, de sorte qu’avec un fort désir et une mauvaise connaissance des langues, la strophe extraite du texte par Wurmbrand peut être attribuée à un homme. Mais pour ce faire, elle doit être arrachée avec le sang et la chair, afin que le sujet tragique de l’amour interdit typique des romantiques se transforme en un aveu de satanisme.
Les chrétiens sont incroyablement chanceux que le pasteur Wurmbrand ait décidé de consacrer son temps à la recherche des textes de Marx plutôt qu’à la Parole de Dieu. Sinon, avec cette manière de citer, la Bible ne contiendrait probablement pas le commandement “Tu ne feras pas de faux témoignage”.
« Marx aimait les paroles de Méphistophélès de Faust : “Tout ce qui existe est digne de destruction.” Tout, y compris le prolétariat et ses compagnons de lutte. Marx cite ces mots dans le Dix-huit Brumaire de Louis Bonaparte (p. 13). »
Ouvrons l’ouvrage mentionné, où Marx décrit le coup d’État monarchique en France, et découvrons :
“le tonnerre de la tribune, les fanfares des médias, toute la littérature, les noms politiques et les réputations savantes, le droit civil et le droit pénal, liberté égalité fraternité, et le deuxième dimanche de mai 1852 – tout a disparu comme une fantasmagorie devant la formule magique d’un homme que même ses ennemis ne considèrent pas comme un magicien. Le droit de vote universel semble avoir duré un instant de plus, seulement pour faire sa volonté devant les yeux du monde et pour déclarer au nom des peuples eux-mêmes : “Tout ce qui apparaît est digne de destruction”.
Alors que Marx ironise sur l’incapacité et le manque de volonté des institutions démocratiques bourgeoises à se défendre face à une dictature militaire, Wurmbrand ne voit ici que la citation de Méphistophélès, et réussit en tirer des conclusions de grande portée. Oui, l’œuvre de cet homme a maintenant été soigneusement traduite en russe et republiée, et ce sont ces “preuves” qui sont évoquées par les auteurs des nouvelles révélations antimarxistes… à vous de voir pour qui ils prennent leurs potentiels lecteurs.
« Il avait des croyances chrétiennes, mais ne les respectait pas. Sa correspondance avec son père montre qu’il a dépensé de grosses sommes d’argent pour se divertir et se querelle continuellement avec ses parents, pour cette raison et d’autres encore. Ainsi, il a pu tomber dans les filets d’une secte particulièrement secrète de satanistes et passer par le rituel de l’initiation”, assure le pasteur Wurmbrand. – Qu’est-ce qui a fait que le père a soudain exprimé sa peur de l’influence démoniaque sur son fils, un jeune homme qui avait auparavant pratiqué le christianisme ? (p. 14). »
Pour confirmer, il cite “Heinrich Marx, lettre du 2 mars 1837 à Karl Marx” – ne posons pas de questions gênantes sur la raison pour laquelle l’homme qui nous a promis “une traduction de la source originale” donne une référence en anglais.
« Seulement si ton cœur reste pur, si chaque battement est vraiment humain et si aucun génie démoniaque n’est capable de chasser de ton cœur les sentiments élevés – alors seulement je trouverai le bonheur. »
Mais les citations, comme d’habitude, sont strictement dosées, il manque les mots suivants :
« Ton cœur correspond-il à ton esprit, à tes dons ? Et comme dans ce cœur règne clairement un démon, ce qui n’est pas donné à tout le monde, quelle en est l’origine : céleste ou semblable au démon de Faust ? »
Car en citant intégralement le texte, il devient clair que dans la lettre d’Henry Marx, “démon” n’a pas de connotation délibérément négative. Le fait que le démon dans la culture de l’époque n’était pas du tout un personnage de films d’horreur, mais était synonyme d’esprit ou de génie, en témoignent les “Cahiers de philosophie d’Epicure”, compilés par Karl à peu près à la même époque, pendant ses années d’étudiant : “le mouvement direct du démon en tant que tel devient objectif chez le démon de Socrate.”
Le démon de Socrate est connu dans les auteurs anciens exactement comme un “ange gardien”, éloignant du mal et guidant vers le bien. Mais chez Wurmbrand, cette citation s’est transformée en “Deux ans après que le père ait exprimé son inquiétude quant à l’effet de la magie sur son fils…”.
Si nous essayons de comprendre pourquoi le pasteur Wurmbrand fait preuve d’une telle désinvolture au lieu de lire les sources originales, du moins celles des Œuvres complètes, nous pouvons alors dire, pour sa défense, qu’il ne semblait pas du tout connaître leur existence.
“La plupart de ses œuvres [de Marx] ne sont pas accessibles au grand public.
J’ai demandé à un de mes secrétaires d’écrire une lettre à l’Institut Marx-Engels-Lenin-Stalin.
Le directeur adjoint de l’Institut, le professeur M. Mchedlov, m’a répondu. …il a confirmé … que seuls treize volumes sur cent avaient été publiés. La lettre a été écrite en 1980…
De cette réponse, il ressort que les communistes de l’Union soviétique, détenant les manuscrits de tous les 100 volumes, n’en ont publié qu’une petite partie. Il n’y a pas d’autre explication à cela, si ce n’est que la plupart des idées de Marx doivent être tenues secrètes” (pp. 30-31).
Il s’agit déjà d’un texte issu d’une réalité alternative. “L’Institut Marx-Engels-Lénine-Staline” ne s’est appelé ainsi que trois ans, de 1953 à 1956. En 1946 était achevée la première édition des ouvrages – 28 volumes en 33 livres. Le volume 40 de la Collection complète, qui contient tous les poèmes et la correspondance connus du jeune Marx, ainsi que des lettres de son père, a été publié en traduction russe en 1975. La même année, le volume 1 de la Section I de Marx Engels Gesamtausgabe (MEGA) est publié à Berlin – avec les premiers travaux dans la langue originale, c’est-à-dire que leur texte était tout à fait disponible pour Wurmbrand au moment de la rédaction de ses opus antimarxistes. La MEGA se poursuit maintenant en Allemagne, avec plus d’une centaine de volumes, y compris même des notes en marge, des notes diverses et des extraits inédits, ainsi que des lettres de différentes personnes à Marx et Engels. Une nouvelle collection complète est également publiée en Chine.
Enfin, les communistes soviétiques, même s’ils le voulaient, ne pouvaient pas garder les textes de Marx secrets. En effet, l’Institut du marxisme-léninisme de Moscou (aujourd’hui Archives d’histoire sociale et politique) n’a reçu que des photocopies de la plupart des ouvrages. Les œuvres originales, sorties d’Allemagne avec moult péripéties lorsque les nazis sont arrivés au pouvoir, sont maintenant conservées à l’Institut d’histoire sociale d’Amsterdam (pour plus d’informations sur cette histoire dramatique, voir “Les archives de l’histoire sociale et politique”; Ilya Agranovsky “Lisez pour la première fois”, M, 1968). C’est sur elles que s’appuient aujourd’hui les universitaires allemands et les traducteurs chinois.
Mais Mikhaïl Petrovitch Mchedlov pouvait-il vraiment écrire une telle bêtise dans sa réponse ? Comme vous le savez, une question bien formulée aide parfois à obtenir la bonne réponse. Le chiffre en 13 volumes montre que Wurmbnard ne l’interrogeait pas sur les œuvres complètes en russe, ni sur l’édition berlinoise de l’original, mais sur le MEGA-I – la première tentative de publier une collection d’ouvrages en allemand, entreprise à Moscou dans les années 20-30. C’est alors que tant de volumes ont été publiés. Richard Wurmbrand est fidèle à sa méthode : ce n’est pas qu’il l’invente directement, mais dans le document qu’il cite, nous parlons de quelque chose de complètement différent.
Cependant, non seulement Wurmbrand lui-même dans la vie, mais aussi ses éditeurs en 2019 continuent de nous honorer avec des histoires sur ce que “les autorités cachent”. Ils ont, à leur tour, obtenu cette histoire étonnante pour leur agitation “Le but ultime du communisme”. Il semble que malgré les différences de doctrine, la Voix des Martyrs et la secte chinoise aient un commandement commun : “Ne cherchez pas sur Google !
L’auteur traite donc librement des textes et pas seulement ceux de Karl Marx lui-même.
“Eleanor, la fille de Karl, raconte que dans son enfance, Marx lui racontait, à elle et à sa sœur, de nombreuses histoires. L’une d’elles, la plus mémorable, concernait un certain Hans Roeckle.
“Cette histoire a été racontée pendant des mois et n’a jamais pris fin. Hans Roeckle était un magicien qui avait un magasin de jouets et beaucoup de dettes. Et bien qu’il soit un sorcier, il avait tout le temps besoin d’argent. Ainsi, contrairement à son désir, il a été contraint de vendre l’un après l’autre tous ses beaux jouets au diable… Certaines histoires étaient si terribles que nos cheveux se dressaient sur nos têtes. Est-il normal qu’un père raconte à ses jeunes enfants des histoires aussi terribles sur la vente à Satan de ses trésors les plus chers ? (p. 21)
Le tableau, convenons-en, est sinistre. Mais devinez ce qui y manque, chers lecteurs ? Et ce qui manque, ce sont les deux dernières lignes d’Eleanor Marx, que le pasteur Wurmbrand, dans son habitude, a “oubliées”, car elles changent la connotation des contes mentionnés :
“Cependant, après de nombreuses aventures étonnantes, toutes ces choses finissaient toujours par revenir dans la boutique de Hans Roeckle…” (Mémoires de Marx et Engels, M, 1983, partie 1, p. 110). Ce conte de son enfance, qu’Eleanor compare aux œuvres de Hoffmann, et qu’elle qualifie non seulement de “plus mémorable”, comme le cite notre pasteur, mais aussi de “plus délicieux…” est si plein de poésie, d’esprit, d’humour !
A quel point faut-il ne pas connaître et ne pas aimer les contes de fées, pour que dans un conte populaire classique sur le diable trompé, on puisse voir une preuve de satanisme ?
D’ailleurs, ce conte a inspiré en RDA un merveilleux film pour enfants “Hans Röckle et le diable”. Je recommande de le regarder pour se laver l’esprit après avoir lu des études conspirationnistes.(1)
(1) Brady, Martin (2014). « Marx pour les enfants: Moor et les Ravens de Londres et Hans Röckle et le Diable ». En Mazierska, Ewa; Kristensen, Lars. Marx at the Movies: Revisiter l’ histoire, la théorie et la pratique . Hampshire: Palgrave MacMillan.
Vues : 426