Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Quand on enterre une époque, on ne chante pas de psaume

Les Russes se moquent en expliquant qu’ils n’auraient jamais imaginé que les Français s’effondreraient aussi vite devant l’armée allemande. Quant à la manière dont ils ont laissé l’armée allemande libre de défiler dans leur capitale, cela ne revient-il pas à dire : que tout était sauvé sauf l’honneur. Le 22 juin, rappellent-ils à ceux des Français qui prétendent donner des leçons au peuple russe, celui de la bataille de Stalingrad, c’est l’entrée de l’armée allemande dans Paris (note de Danielle Bleitrach, traduction de Marianne Dunlop).

https://vz.ru/opinions/2020/6/22/1045200.html

Le calcul de la diplomatie soviétique était que la France se battrait. Peut-être pas de façon aussi opiniâtre que lors de la première guerre, mais en tout cas elle ne serait pas défaite en un mois, comme un journal mouillé. Mais le 22 juin 1940, la France signe sa reddition à Hitler.

Maxim Sokolov, journaliste

22 juin 2020

Photo: imago / Global Look Press

“Quand on enterre une époque, on ne chante pas de psaume.” C’est ainsi qu’il y a quatre-vingts ans, la poétesse Anna Akhmatova a réagi à la nouvelle de la chute de Paris. La France a signé la reddition le 22 juin 1940. Et le 10 juin 1940 (exactement un mois après le début de la campagne véritable, tant il est difficile d’appeler ainsi la drôle de guerre précédente) le gouvernement de la république avait quitté Paris, les ministres ont erré de-ci de-là jusqu’à ce qu’ils atterrissent à la station balnéaire de Vichy, et le 14 juin à 5h30 les Allemands entrèrent dans Paris, déclaré ville ouverte.

La marche victorieuse a commencé à partir de la station de métro Porte de la Villette (extrémité nord-est de la ligne 7) pour se diriger vers le centre-ville le long de la rue (aujourd’hui avenue) de Flandres. Elle est passée devant la station de métro Boulevard de la Villette, rebaptisée Stalingrad le 10 février 1946.

Clio muse de l’Histoire aime jouer des tours. En juin 1940, ni un Allemand triomphant ni un Français humilié n’auraient pu imaginer que six ans plus tard Stalingrad apparaîtrait dans la toponymie parisienne. En reconnaissance du fait que le sort de la France s’est décidé sur les bords de la Volga. Mais laissons de côté les blagues de Clio.

En elle-même, l’annonce de Paris comme ville ouverte n’apparaissait pas comme une manifestation choquante de lâcheté et de veulerie. Si nous laissons de côté le Moyen Âge et la Renaissance, où lors des sièges et sacs des villes, les vols et les violences sans nom étaient monnaie courante, à partir du XVIIIe-XIXe siècle, les coutumes européennes se sont considérablement adoucies. Il ne restait pratiquement aucun peuple prêt à exposer sa capitale aux horreurs d’un assaut féroce, et toutes les capitales européennes ont connu le statut de villes ouvertes. Certaines même plusieurs fois.

La seule exception a été la bataille de Berlin. Là, l’assaut fut extrêmement féroce et le 30 avril 1945, la ville était en ruine. En 1940, exiger quelque chose comme ça des Français aurait été trop dur. Sans compter qu’ils n’ont pas fait preuve d’un courage désespéré pour défendre Paris non plus en 1814 (la menace d’Alexandre Ier de bombarder la ville depuis les hauteurs de Montmartre a immédiatement eu un effet étonnant), ni en 1815, ni en 1870, et pourquoi auraient-ils dû soudainement renoncer à cette longue tradition en 1940?

Encore une fois, nous laisserons de côté la question du prix à payer pour le “Hände hoch” de l’époque. La Gestapo à Paris, les rafles de Juifs avec leur déportation ultérieure vers le Reich pour extermination – tout cela ne les embellit pas. Au temps de François Ier, ils disaient «Tout est perdu fors l’honneur» – Là, c’était tout le contraire – presque rien n’a été perdu (comme il semblait au premier abord), sauf l’honneur. Mais la honte n’est pas de la fumée, elle ne pique pas les yeux.

Les contemporains ont été frappés par autre chose. La France après la Première Guerre mondiale était considérée comme la première puissance militaire d’Europe. Ce dont, par exemple, témoignait avec autorité le hussard solitaire avec un moteur (un blogueur on dirait maintenant) V.M. Polesov (1): «Un communiste éminent m’a dit qu’ils avaient, comment pensez-vous, combien d’avions? – Deux cents pièces! – Deux cent? Pas deux cents, mais trente-deux! Et la France compte quatre-vingt mille avions de combat. » Bien sûr, le blogueur ajusteur était exalté, mais il est à noter qu’il pointait précisément la grandeur de la France, et non d’un autre pays. Malgré le fait qu’avec son enthousiasme, il aurait pu même parler de la grandeur de la Roumanie. Mais non, la France.

Et si seulement il n’y avait que V.M. Polesov. La chute de Paris a été une énorme surprise pour tous les dirigeants mondiaux. Pour Hitler lui-même, pour Churchill et aussi pour Staline. Pour ce dernier, peut-être encore plus. Les bolcheviks, en tant que personnes de la génération plus âgée (en 1940), se souvenaient de la Grande Guerre, comme on l’appelait en France, se souvenaient de l’acharnement des poilus, qui avaient combattu obstinément en 1914-1918 et qui avaient subi le plus gros de la guerre.

Et le calcul de la diplomatie soviétique était que la France se battrait. Peut-être pas de façon aussi opiniâtre que lors de la première guerre, mais en tout cas elle ne serait pas défaite en un mois, comme un journal mouillé. Ainsi, cela entravera Hitler. «A l’Ouest rien de nouveau» – cela donnerait à l’URSS un répit.

Mais en juin 1940, il s’est avéré que le calcul était incorrect. La France n’était pas prête à se battre, à la suite de quoi l’Angleterre et l’URSS (chacune séparément) ont été confrontées à la nécessité de se dépatouiller dans des circonstances complètement nouvelles. Le 14 juin 1940, les anciens stratagèmes pouvaient être jetés à la corbeille.

Hitler en juin 1940, ayant conquis la France, se sentait pousser des ailes et pouvait, à l’instar de Lénine en octobre, dire «es schwindelt» – «la tête me tourne». Suite à quoi, il s’est pris de passion pour les symboles de victoire. Il fit venir le wagon d’état-major, dans laquelle la trêve fut signée le 11 novembre 1918, du pavillon du musée au même endroit dans la forêt de Compiègne, afin que les généraux français y signent leur défaite. Puis il fit une entrée triomphale à Paris, où il n’avait jamais mis les pieds avant (et jamais après) pour jouir de la victoire sur l’ennemi éternel.

On se réjouissait moins au Kremlin. Le souffle froid d’une guerre future – en outre, dans des conditions totalement défavorables – a glacé les dirigeants du prolétariat. Le 22 juin 1940, la France signe sa reddition. Le 24 juin, Hitler est arrivé à Paris. Le 26 juin, le Présidium du Soviet suprême de l’URSS a publié un décret “sur le passage à la journée de travail de huit heures, la semaine de travail de sept jours et l’interdiction du départ non autorisé des travailleurs et des employés des entreprises et des institutions”. En fait – sur la militarisation de la main-d’œuvre.

Avant le 22 juin 1941, il restait un an.

(1) Personnage de fiction, NdT

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1 Commentaire

  • Robert Lechêne
    Robert Lechêne

    J’avais 12 ans à l’arrivée des Allemands, mais me souviens de ce qui était alors le mot d’ordre ouvertement avoué par la réaction française : plutôt Hitler que le Front Populaire. Il y avait eu 1936 et ses conquêtes sociales.

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