Il existe une rubrique de la “Pravda” : le pouls de la planète, qui fait le tour de la situation internationale… Il y a des articles courts que nous vous présenterons dans une autre rubrique et il y a des articles plus longs comme celui-ci sur la situation libyenne. Marianne les a traduits puisqu’ils correspondent à ce que nous présentons souvent ici pour faire face à l’incurie médiatique française massive sur la situation internationale. Le cas de la Libye dans laquelle la France porte une lourde responsabilité que toutes les belles âmes qui ont appelé à l’intervention contre Khadafi semblent avoir totalement oublié. Combien de vertueuses campagnes contre d’hypothétiques tyrans les vertueux droits de l’hommistes qui sévissent toujours ont-ils acceptées, combien de crimes contre l’humanité avec des sanctions, des attaques contre les populations civiles ont-ils cautionnés dans leur vassalité au maître américain? Combien de morts crient dans la méditerranée ce que valent ces gens-là et leur cœur en écharpe, cette gauche criminelle et colonialiste même quand elle feint de jouer les anti-racistes… (note de Danielle Bleitrach et traduction de Marianne Dunlop pour Histoire et société).
Le journal “Pravda”.
11-06-2020
https://kprf.ru/international/capitalist/195186.html
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Le conflit de longue date en Libye connaît un nouveau tournant. Les troupes du maréchal Haftar ont quitté presque tout l’ouest du pays. Derrière cette défaite, ainsi que les succès passés, il y a des forces extérieures qui veulent s’emparer des ressources.
L’amertume de la défaite
La variabilité du succès militaire, ainsi que du destin en général, est clairement visible dans l’histoire libyenne. Il y a un demi-siècle, le monde entier résonnait du nom d’un capitaine d’armée de 28 ans, Mouammar Kadhafi, qui dirigeait la révolution et avait fait du pays appauvri le pays le plus riche d’Afrique.
Près d’une décennie après la mort du souverain légendaire, Khalifa Haftar connaît des virages dramatiques. Proche allié de Kadhafi, avant de devenir son ennemi mortel, il a revendiqué, il y a deux mois, la direction exclusive de la Libye. Et à cela, semblait-il, il y avait toutes les raisons. Depuis 2014, lorsque Haftar a appelé à l’expulsion du «gouvernement islamique» de Tripoli, l’armée nationale libyenne (ANL) dirigée par lui a établi le contrôle de plus de 90% du territoire du pays. Presque tous les champs de pétrole et de gaz et les ports pétroliers y étaient situés, ce qui donnait au chef militaire des atouts de poids.
Un autre atout était le soutien étranger. Haftar a reçu des services militaires, financiers et diplomatiques d’Egypte, d’Arabie saoudite, des Émirats arabes unis, de France et de Russie. Cela a placé l’ANL dans une position gagnante contre les milices hétéroclites, qui comptaient sur le «gouvernement d’accord national» (GNA) à Tripoli, dirigé par Fayezel-Sarraj.
Cependant, «l’offensive décisive» lancée le printemps dernier s’est résumée à des batailles positionnelles prolongées. De plus, dans la banlieue sud de la capitale, l’ANL n’a pas avancé. Haftar n’a pas été aidé non plus par la concentration maximale des pouvoirs. Si au départ il s’exprimait au nom de la Chambre des représentants de Tobrouk et du cabinet parallèle, «oriental», depuis avril de cette année, le maréchal a annoncé le transfert de tous les pouvoirs à l’armée.
Une telle décision, cependant, ne témoigne pas de la force, mais plutôt du désarroi. C’est en avril qu’une série d’échecs a commencé, qui a finalement viré à la catastrophe. Tout d’abord, les formations du GNA ont éliminé l’ANL des villes de la côte nord-ouest (Sabrat, Surman, etc.), puis elles ont pris la base aérienne d’al-Vatiya, utilisée par les troupes de Haftar depuis 2014. Fin mai, l’ANL a abandonné la banlieue et l’aéroport international de Tripoli et le 5 juin elle a perdu Tarhuna et Bani Walid – les derniers bastions à la périphérie de la capitale. La situation dans le sud de la Libye n’est pas meilleure. Le sommet d’un certain nombre de tribus locales a annoncé son ralliementau GNA, privant Haftar du contrôle sur les plus grandes villes de la région – Sebkha, Murzuk, Ubari et Gatom, ainsi que de grands gisements, dont El-Sharara et Elephant.
L’entourage du maréchal a tenté plutôt maladroitement de justifier les échecs soit par un regroupement des forces, soit par leur «bonne volonté» à la veille de la fête musulmane d’Aïd al-Fitr, soit par une avancée vers un cessez-le-feu. Finalement, l’ANL a reconnu sa défaite, l’expliquant par la supériorité des forces ennemies et la «pression étrangère».
Le fondement financier de “l’amitié”
Bien évidemment, les rebondissements mystiques du destin n’ont rien à voir ici. Le tournant de la guerre civile a des raisons prosaïques et est principalement associé à la politique des forces extérieures. La position peu enviable de Sarraj a radicalement changé quand Ankara l’a ouvertement soutenu au début de l’année. Des experts militaires et des militants pro-turcs de Syrie ont été transférés en Libye, dont le nombre dépassait 10 000 personnes. À cela s’ajoute le flux d’armements, notamment des véhicules blindés, de l’artillerie, des systèmes de défense aérienne et, surtout, des drones de combat Bayraktar et Anka. À cause d’eux, les troupes de Haftar ont perdu l’un de leurs principaux avantages – la suprématie aérienne. Les dirigeants turcs ne cachent pas leur ingérence, déclarant non seulement qu’ils agissent «du côté de la loi» contre les «rebelles», mais se couronnant également des lauriers de la victoire. «Nos militaires suivent le plan et se sont engagés à poursuivre le combat avec leurs frères libyens», a déclaré le 5 juin le président Recep Tayyip Erdogan.
Les actions d’Ankara ont été rendues possibles grâce à une faille créée par la «communauté internationale» dirigée par l’ONU. Incapable et totalement dépendant des milices (lire: bandes) de militants islamistes, le cabinet de Sarraj a été reconnu comme un gouvernement légitime. Les raisons sont évidentes: cela facilitait le vol des matières premières libyennes. Pas étonnant que la National Oil Company et la Banque centrale aient été transférées sous le contrôle du GNA.
L’attitude des acteurs mondiaux vis-à-vis des parties au conflit, respectivement, dépendait de la volonté de ces dernières d’assurer le pompage ininterrompu du pétrole et du gaz pour les sociétés étrangères. Tant que Haftar remplissait ses obligations, les principales puissances le toléraient, menant le dialogue avec Tripoli et Tobruk. Cela s’est exprimé dans une série d’initiatives de paix que la France, l’Allemagne et la Russie ont alternativement prises.
Depuis quelque temps, cependant, le maréchal a commencé à jouer son propre jeu. Après le début de l’intervention turque, l’ANL a bloqué les terminaux d’exportation. En conséquence, la production de pétrole est passée de 1,2 million à 90 000 barils par jour. Misant sur les dissensions entre les États-Unis et l’UE avec Ankara, Haftar comptait sur leur intervention en sa faveur. Mais face au choix entre approfondir le conflit avec un pouvoir fort en la personne de la Turquie ou sacrifier le chef inflexible de l’un des belligérants dans son appendice de matières premières, les forces extérieures n’ont pas hésité longtemps. Et cela concerne non seulement des joueurs assez neutres, mais aussi les alliés à long terme de Haftar.
Le changement de braquet est clairement visible avec l’exemple de la France. Pendant plusieurs années, elle a aidé l’ANL avec des armes et même des forces spéciales, en échange de la protection des intérêts de la société Total. Cela a entraîné un grave conflit avec Tripoli lorsque le GNA a annoncé l’annulation de tous ses contrats avec Paris. Il y a quelques mois, cependant, le bureau de Sarraj a mué sa colère en bonne volonté et approuvé l’acquisition par Total d’une participation de 16% dans le projet de développement du champ pétrolifère de Vakha. Les autres participants à la concession sont les sociétés américaines Hess et Conoco Phillips.
Bien sûr, cette mutation de la colère en bonne volonté de la part de Tripoli ne s’est pas produite par hasard. Paris prend de plus en plus ses distances avec Haftar et fin mai lui a envoyé un signal sans ambiguïté. La frégate française Jean Bart a intercepté un pétrolier qui se dirigeait vers Tobrouk pour le chargement de pétrole et sa vente ultérieure aux Émirats arabes unis. Le navire militaire opérait dans le cadre de l’opération Irini annoncée par l’Union européenne pour assurer l’embargo sur les armes imposé par l’ONU. Cependant, “sans remarquer” les navires turcs armés pour Tripoli, la frégate a choisi une cible complètement différente.
Les États-Unis ont subi des métamorphoses similaires. Il n’y a pas si longtemps, Haftar y était reçu avec de véritables honneurs présidentiels, et après l’offensive qui a commencé l’année dernière, Trump a exprimé son soutien au maréchal. Mais maintenant, le département d’État américain accuse l’ANL de «provoquer une crise humanitaire», et son chef Mike Pompeo dans une conversation téléphonique exprime sa solidarité à Sarraj. “Nous sommes fiers de notre partenariat avec le gouvernement légitime de la Libye et condamnons les forces qui cherchent à imposer un nouvel ordre politique par des moyens militaires et le terrorisme”, a déclaré un communiqué de l’ambassade américaine à Tripoli.
L’influence de Washington est également évidente dans la déclaration du secrétaire général de l’OTAN, Jens Stoltenberg. D’une manière totalement hypocrite, reconnaissant que toutes les parties au conflit libyen doivent respecter l’embargo sur les armes, il a appelé à “ne pas mettre au même niveau les forces de Haftar et le gouvernement de Fayez Sarraj – le seul reconnu par l’ONU”. À cet égard, a ajouté M. Stoltenberg, l’alliance est prête à fournir un soutien à Tripoli.
L’Italie n’est pas restée à l’écart. Officiellement, elle avait auparavant soutenu le GNA, mais était en même temps en contact avec Haftar. Ce qui n’est pas surprenant: sous le contrôle de l’ANL se trouvaient des champs de gaz développés par la société Eni. Pour cela, Rome était critiquée par les associés de Sarraj, qui l’ont menacée de perdre un «morceau du gâteau». Après mûre réflexion, les dirigeants italiens se sont ouvertement rangés du côté de Tripoli et ont préconisé la propagation d’Irini à la frontière égypto-libyenne pour limiter la fourniture d’armes à Haftar. À ce propos, l’opération est basée à Rome et le contre-amiral italien Fabio Agostini la commande. Sa position a été appréciée au sein du GNA, permettant à Eni de reprendre le travail dans les champs pétrolifères de la région de Sabrata.
Des dividendes sur les matières premières
La politique de la Russie est un sujet à part. A la suite de l’ONU et de la plupart des États, Moscou a reconnu la légitimité du cabinet de Sarraj, mais a choisi de «ne pas mettre tous ses œufs dans le même panier». Nous ne nous attarderons pas sur le thème de la participation au conflit de la Société militaire privée “Wagner”. Rappelons seulement que la Russie est critiquée ouvertement à ce sujet à la fois par la Turquie et les pays occidentaux, ainsi que par le rapport de mai du Conseil de sécurité de l’ONU. Le fait est que Moscou a établi des contacts étroits avec Haftar, espérant évidemment obtenir un ou deux (et de préférence, bien plus!) gisements pour Gazprom et Rosneft.
Et comme les intérêts du gouvernement russe ne sont pas différents de ceux des autres prédateurs bourgeois, son comportement est tout aussi cynique et calculateur. D’une part, il essaie de contourner Haftar pour se rapprocher des autorités de Tobrouk. Le 26 mai, Serguei Lavrov a eu des conversations téléphoniques avec le président de la Chambre des représentants, Aguila Salah, et soutenu le plan de négociations inter-libyennes proposé par lui. D’un autre côté, la Russie fait des avances au GNA. Le 3 juin, le vice-premier ministre Ahmed Meitig et le ministre des Affaires étrangères Mohammed Siyala se sont rendus à Moscou, rencontrant Lavrov et des représentants du ministère russe de la Défense. Très probablement, en Russie, ils tentent de relancer l’accord de 2017 entre Rosneft et la Libyan National Oil Company sur la coopération dans le domaine de l’exploration et de la production. Enfin, la situation a été discutée lors d’une conversation téléphonique entre Vladimir Poutine et Erdogan. Selon les rapports, les présidents se sont mis d’accord sur l’activation du processus politique.
Il est impossible de prédire le développement ultérieur des événements avec précision dans les détails, mais certaines conclusions s’imposent. La principale est que la lutte pour les ressources non seulement ne va pas s’apaiser, mais au contraire s’aggraver. Les alliés de Haftar, principalement le Caire, tenteront de maintenir une position au moins dans l’est du pays. L’initiative de paix du président égyptien, Abdel Fattah al-Sissi, est liée à cela. Elle a été rendu public le 6 juin, après ses négociations avec le maréchal qui s’était jeté sur les rives du Nil.
Mais les gagnants n’ont clairement pas l’intention de partager, selon le proverbe latin: “Les retardataires auront les os.” À la mi-mai, la Turkish Oil Corporation a annoncé son intention de commencer l’exploration et la production au large des côtes libyennes. Cela a été confirmé par Sarraj et Erdogan après la visite du chef du GNA à Ankara le 4 juin.
La série d’accusations contre Moscou ne semble pas accidentelle. Tout d’abord, le Pentagone a annoncé ses preuves du transfert d’une douzaine de chasseurs MiG-29 et de bombardiers Su-24 pour soutenir Haftar. “La Russie continue d’attiser les flammes du conflit libyen”, a déclaré l’armée américaine. Ensuite, le Département d’État américain a annoncé que Moscou avait envoyé un lot de «faux» dinars à Tobrouk. Imprimé par la Russie, l’argent a été saisi par les autorités de Malte à la demande du GNA il y a près d’un an, mais à Washington, ils ont décidé de monter cette affaire en épingle juste maintenant. Dans quel but ? c’est très clair: chasser la Russie de la Libye «post-Haftar» et obtenir des contrats favorables pour eux-mêmes.
Déchirant le pays, les vautours capitalistes sont moins inquiets pour leurs habitants. Selon des estimations extrêmement approximatives, rien que la dernière étape du conflit a coûté la vie à près de 10 000 personnes, et dans la liste des États selon l’indice de développement humain, la Libye s’est effondrée depuis dix ans, passant de la 53e à la 110e place. Aujourd’hui, on a du mal à croire que sous Kadhafi, le pays était reconnu par l’ONU comme beaucoup plus développé que l’Arabie saoudite ou la Russie.
Décrivant l’invasion de la Libye par l’Italie il y a plus de cent ans, Lénine l’a qualifiée de “massacre humain civilisé amélioré, de coups infligés aux Arabes à l’aide des armes les plus modernes”. “Qu’est-ce qui a causé la guerre? L’intérêt personnel des barons de la finance et des capitalistes italiens, qui ont besoin d’un nouveau marché, qui ont besoin des victoires de l’impérialisme italien », a-t-il conclu. Depuis lors, les moyens techniques d’expansion ont changé, mais l’essence de l’impérialisme est restée la même. Et le capital ne changera jamais sa nature de son plein gré.
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