Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Pourquoi l’Occident soupçonne-t-il un coup fourré dans l’aide russe à l’Italie? par Vladimir Dobrynin

Des militaires russes en visite à l’Etat-major italien : cette photo a fait le tour du monde

27 mars 2020

Photo: facebook.com/mod.mil.rus

https://vz.ru/world/2020/3/27/1031171.html

«Merci aux frères russes», «l’Italie n’oubliera pas», «c’est bien mieux que 30 000 soldats américains.» Tous ces exemples sont des réactions d’Italiens ordinaires sur l’arrivée des médecins militaires russes pour lutter contre l’épidémie de coronavirus. Pourquoi la presse européenne réagit-elle à l’aide russe de manière tellement suspicieuse, pour ne pas dire hostile?

La presse espagnole a été la première à réagir au geste de bonne volonté russe. Le pays connaît lui-même une crise comparable à celle de l’Italie, mais n’a pas demandé l’aide de la Russie. Et c’est pourquoi apparemment ils ne croient pas beaucoup à la bonté d’âme de «ces Russes».

«Une colonne de jeeps et de camions avec du matériel médical et des spécialistes. Le drapeau russe – la bannière tricolore du tsarisme – flotte dans le vent. Ce que Staline n’a pas accompli, Poutine l’a fait et l’épidémie [y] contribue. En 1945, les troupes russes sont restées à Vienne. Maintenant, elles se déplacent sur le territoire italien », explique La Vanguardia. Des affirmations dans lesquels on perçoit moins l’indignation que l’envie.

L’Espagne s’est tournée vers l’OTAN pour obtenir de l’aide, comme un «bon» pays occidental est supposé le faire – et il semble qu’ils devront attendre longtemps une réponse. L’Italie s’est adressée à Moscou et a tout reçu en une journée. Mais, selon le journaliste Enric Juliana, il vaut mieux mourir en attendant l’aide des alliés que d’accepter l’aide de l’ennemi. Même s’il faut pour cela payer en dizaines de milliers de vies par temps de paix.

“Se sentant libérée de l’Union européenne, l’Italie a pris trois mesures qui ne peuvent pas passer inaperçues auprès de la communauté”, écrit l’auteur en décomposant l’action de Rome. – Premièrement, elle a intensifié ses relations avec la Chine, permettant au régime de Pékin de mener une puissante campagne de relations publiques. Deuxièmement, le pays européen, le plus culturellement lié aux États-Unis pendant la guerre froide, s’est tourné vers Vladimir Poutine pour obtenir l’aide de la Russie. Et troisièmement, elle a demandé à Cuba d’envoyer une de ses équipes de médecins internationalistes. »

“Une aide inutile “

En Italie même, les opinions sur l’aide russe sont partagées. La presse libérale (et il n’y en a pratiquement pas d’autre dans le pays) a choisi de ne pas remarquer le caractère humanitaire de la mission, mais a fait très attention au fait que la plupart des virologues russes arrivés dans les Apennins sont des militaires. L’une des principales publications du pays, La Stampa, a tenté non seulement de minimiser la valeur de l’assistance fournie à l’Italie par des spécialistes de la Fédération de Russie, mais aussi de faire passer la mission comme une campagne d’espionnage.

Selon une source journalistique anonyme dans les milieux gouvernementaux, «80% de ce quia été fourni dans le cadre de l’aide est inutile ou peu utile à l’Italie. Ils n’avaient besoin que d’une excuse. » Autrement dit, les masques et appareils de ventilation mécanique en provenance de Chine peuvent bien être tolérés, mais le laboratoire de terrain pour la stérilisation, l’équipement et les véhicules de désinfection apportés par la Russie, il y a clairement un hic avec tout ça. Et ce “hic” est aux dépens de l’Italie et de son peuple.

Le journal, commentant les paroles de gratitude exprimées par le Premier ministre du pays, Giuseppe Conte à la Russie, s’est concentré sur le fait que la charité de Moscou coûte cher à Rome: “L’armée russe se déplace librement à travers l’Italie à proximité des bases de l’OTAN”.

“Soyez fier de Poutine, le meilleur président du monde!”

La réaction des Italiens ordinaires à la main de l’amitié tendue par la Russie est exactement le contraire. Après l’annonce de l’aide par Moscou, le compte Facebook de l’ambassade de Russie à Rome a littéralement été inondé par un nombre hallucinant d’icônes “j’aime” et “super”, d’une foule de commentaires avec des mercis à n’en plus finir. Les commentateurs remerciaient le peuple et le gouvernement de la Russie, et critiquaient la position des pays de l’Union européenne et des États-Unis, pas pressés de soutenir l’Italie.

«Merci, super! C’est bien mieux que 30 000 soldats américains sans masques qui devaient participer aux manœuvres Defender de l’OTAN Europe 2020. Ben oui, nous n’avons pas encore compris contre qui nous devons nous défendre? Merci, la Russie. Merci, Poutine », écrit Luciana.

«Ce sont nos amis, et au lieu de répondre par la réciprocité, nous leur imposons des sanctions. Quelle honte! ” – Commente Sig Gefrico.

«Et nous vous imposons toujours des sanctions! Il n’y a aucune limite à la bassesse », écrit Marco Castellari.

«Merci à tous pour votre aide. L’Italie ne l’oubliera pas. Merci, la Russie! ” – dit Andrea Limonta.

“Merci aux frères russes, et soyez fiers de votre président Poutine, le meilleur du monde!” Bonjour! ” – réaction de Stefano Rosa.

«La Russie et la Chine sont les pays les plus fiables et les plus solidaires. Plus les médecins de Cuba et d’Amérique latine. L’Europe et l’Amérique manquent à l’appel… Quand tout sera fini, on s’en souviendra », promet Giuseppe Lapenna.

«Soft power», «défi à l’Union européenne» et «tout cela à des fins de propagande»

Le Jyllands-Posten danois a trouvé dans les actions de la Russie (et de la Chine) un défi pour l’Union européenne. Bien qu’il ait reconnu que “l’Europe a tourné le dos à l’Italie”, l’éditorialiste, chef du centre d’analyse Europa, LuccaFriis, a appelé les médias à être vigilants et à ne pas surestimer la générosité de l’aide «des régimes autoritaires à l’Italie qui connaît des difficultés. «Il ne fait aucun doute qu’ils essaieront d’utiliser la situation actuelle de la Fédération de Russie et de la RPC pour diviser l’Union européenne. Quelle sera la réaction de Rome en ce qui concerne les sanctions contre la Russie ou les contrats 5G avec Huawei?, demande Friis.

    “La Russie avait de bonnes relations avec l’Italie avant même la crise du coronavirus, et les votes au Parlement européen ont démontré à plusieurs reprises que l’Italie comprend la Russie”, note le journal. «Les États-Unis se sont retirés des affaires européennes, et maintenant il est possible que les gens cessent de croire en l’Union européenne et se tournent vers la Chine et la Russie.»

Le journal tchèque Info n’a rien vu d’autre que le «soft power» dans le geste de la Russie. «Vladimir Poutine a envoyé des centaines de virologues en Italie à titre d’aide humanitaire. Ils ne changeront pas fondamentalement la situation, mais les médecins et le matériel médical sont désormais plus nécessaires aux Apennins qu’une aide financière. Poutine en a besoin à des fins de propagande, d’une part, pour promouvoir ses changements à la Constitution, et d’autre part, pour continuer à faire pression sur les anciennes républiques de l’URSS et les pays non encore inclus dans l’UE, comme la Serbie. Personne ne réfléchira au fait que ce geste était plus ostentatoire qu’une véritable aide, mais tout le monde s’en souviendra. Et la Serbie et l’Italie pourraient se rapprocher de la Russie et s’éloigner de l’UE. »

“L’aide apportée par l’Italie, la Russie et la Chine porte un signe politique”, a déclaré l’allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung . – L’Europe aide un peu l’Italie, qui est l’une des figures clés de l’UE et de l’OTAN. La Chine communiste et la Russie autoritaire ont maintenant une chance de tirer Rome de leur côté. »

L’auteur de la publication, Klaus-Dieter Frankenberger, admet que les Italiens estiment que «l’Europe les a laissés tomber dans le malheur. L’Allemagne y compris. Que ce soit juste ou non, les habitants des Apennins s’en fichent, ils se rappellent désormais qui les a aidés et qui atenté de les fustiger ou de démontrer n’importe quoi. » L’auteur craint qu’à l’avenir, rejetée par l’Europe à un moment critique, l’Italie ne souhaite plus renouer avec ses partenaires européens, mais se tourne vers la Russie et la Chine.

Et enfin, le Japon, situé en Extrême-Orient, se solidarise avec l’opinion occidentale et, toute honte bue, accuse sans complexes dans les colonnes d’Asahi Shimbun la Russie de profiter du malheur des autres. Son correspondant à Moscou, Mititaka Hattori, se montre absolument convaincu que «puisque la Russie a fourni de l’aide, elle en profitera par la suite pour sa propagande tant au niveau national qu’international». Dans le même temps, l’auteur rappelle gentiment que Moscou a aidé le Japon après le tremblement de terre de Tohoku en 2011, mais déclare juste après que «le report des Jeux olympiques de Tokyo à 2021 est également dans l’intérêt de la Russie, qui sera en mesure de résoudre tous les scandales de dopage d’ici là».

* * *

Comme vous le voyez, nos «partenaires» occidentaux ne veulent pas voir dans l’assistance de la Russie à l’Italie l’ampleur de l’âme russe et la pureté de ses pensées. Ils suspectent en tout un sens caché et un avantage politique. Cependant, il n’y a rien de surprenant à cela, en effet, ils jugent d’après eux-mêmes, d’où leurs conclusions.

Traduction Marianne Dunlop pour Histoire et Société

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