Déjà largement combattue par les salariés de l’entreprise et leur syndicat CGT depuis plus d’un an, la fermeture de l’usine Luxfer à Gerzat revêt un caractère encore plus scandaleux en pleine crise du coronavirus. Avec le développement de cette pandémie causant des troubles respiratoires, l’intérêt stratégique de l’outil industriel et des savoir-faire des salariés apparaît au grand jour. Les salariés de l’entreprise viennent de lancer une pétition, reprise par le député communiste André Chassaigne et d’autres élus du Puy-de-Dôme, pour la nationalisation définitive de cette entreprise. Le site est occupé par les salariés depuis le 20 janvier 2020.
https://revue-progressistes.org/…/la-seule-usine-francaise…/
10/02/2020 | Industries & Filières, Luttes & Initiatives
Le 20 janvier 2020, les salariés de Luxfer Gas Cylinders Gerzat ont pris l’initiative de réquisitionner leur usine pour éviter la casse de leur outil industriel.
Revitalisation
Le 20 décembre 2019, alors qu’un projet de revitalisation par porté les salariés visait à sauver 55 emplois, la direction de Luxfer a décidé de refuser d’honorer ses obligations de revitalisation.
La raison avancée serait que le Ministère de l’Economie et des Finances leur aurait ordonné de ne pas vendre le site.
Après contact avec ce même Ministère, celui-ci a tout nié en bloc. Cependant, il devait faire un démenti et rappeler les obligations du groupe Luxfer en termes de revitalisation. Cela n’a jamais été fait.
Les salariés ont donc eu une réunion au Ministère de l’économie et des finances. Mme Pannier-Runacher (Secrétaire d’État auprès du ministre de l’Économie et des Finances) et M. Ivon (Cabinet de Mme Penicaud) étaient conviés et ne sont pas venus. Ils n’ont même pas pris la peine de décommander.
La réunion s’est tenue avec entre autre M. Glita (Délégué Interministériel aux restructurations d’entreprises).
Les salariés sont tombés face à un mur, le Ministère n’a pris aucun engagement et ne veut pas intervenir dans cette affaire, prétextant qu’ils n’ont aucun levier pour dénouer cette situation.
Pourtant, des outils existent :
- L’article L1233-62 du code du travail précise « Le plan de sauvegarde de l’emploi prévoit des mesures telles que […] des actions favorisant la reprise de tout ou partie des activités en vue d’éviter la fermeture d’un ou de plusieurs établissements ». Ces mesures avec restriction ont été fixées en préfecture et apparaissent sur http://www.puy-de-dome.gouv.fr/deuxieme-comite-de-suivi-luxfer-a7464.html
- Luxfer a décidé de fermer l’unique usine du monde fabriquant des bouteilles de gaz haute pression en aluminium de très haut de gamme dans le but de se servir de sa position de monopole pour prendre à la gorge ses clients, en baissant la qualité des produits et en augmentant ses prix de ventes. Par conséquent, se servir de sa position de monopole pour mettre à genoux une filière et refuser de laisser la possibilité de mettre en vente à la concurrence l’unique usine du monde sur ce type de produit est illégale et ne respecte pas le droit commercial international sur la concurrence libre et non faussée.
- Les produits vendus (l’oxygénothérapie remboursée par la sécurité sociale, les ARI des pompiers et les bouteilles d’assistance respiratoire pour les hôpitaux achetées par les états) sont destinés notamment à l’état français. L’état français en tant que client final est directement impacté par les agissements de Luxfer, et en laissant faire cette société l’état trahit ses citoyens pour favoriser une multinationale.
- Le groupe Luxfer était surement soumis à la loi Florange qui pose des obligations de revitalisation plus poussée (Indemnité de revitalisation pour la collectivité, etc…). Il faut 1000 salariés en Europe pour être soumis à la loi Florange et Luxfer en avait déclaré 500. Or après investigation la DIRECCTE a trouvé 973 salariés et a précisé qu’il y a de grandes chances que le groupe Luxfer soit soumis à la loi Florange mais que les derniers effectifs étaient invérifiables.
En refusant de sauver l’usine Gerzatoise, l’état se rend complice de cette multinationale sur la destruction du bassin industriel déjà touché par de nombreux plans de licenciement :
– La SEITA (Riom) en 2016 avec 239 licenciements
– Flowserve (Thiers) en 2016 avec 85 licenciements
– Luxfer Gas Cylinders (Gerzat) en 2019 avec 136 licenciements
– Dietal (Saint-George-de-Mons) en 2019 avec 70 licenciements et surement 140 de plus dans quelques mois
– Les ACC (Clermont-ferrand) en 2019 avec 47 licenciements
– La sucrerie de bourdon (Aulnat) en 2020 avec 96 licenciements
– MSD (Riom) en 2020 avec 207 licenciements
– sans compter Michelin dont les effectifs ont baissé de plusieurs milliers ces 10 dernières années.
L’abandon des salariés de Luxfer par l’état confirme les propos de M. Floris (prédécesseur de M. Glita) tenus aux syndicats de l’usine Gerzatoise en janvier 2019 : « Vos emplois appartiennent à Luxfer, les locaux appartiennent à Luxfer, les machines appartiennent à Luxfer, c’est la propriété privée. Si un actionnaire a décidé de cassé son jouet, peu importe les conséquences, nous n’interviendrons pas ». L’état fait donc prévaloir l’abus de droit de propriété sur les intérêts de l’état, de l’Europe, de ses concitoyens et même sur la concurrence libre et non faussée si chère à l’Union Européenne.
Mais la volonté politique de désindustrialisation de notre pays ne s’arrête pas au Ministère de l’économie et des finances. En effet, le Président de Région M. Wauquiez et la vice-présidente Mme André-Laurent ont détourné le regard lorsque cette usine s’est retrouvée fermée sans motif valable. Après de multiples requêtes, la présidence de la région a préféré ignorer les salariés gerzatois. Pire encore, ils se targuent auprès des organisations syndicales et de l’opposition d’être en contact avec les syndicats de Luxfer, ce qui est totalement faux. A ce jour, les salariés n’ont toujours pas eu de rendez-vous. De la même façon, la préfète du Puy de Dôme (Mme Baudouin-Clerc) ne met plus en place les commissions de revitalisation de l’usine de Gerzat depuis février 2019. Pourtant, depuis, les salariés ont trouvé eux même un repreneur Jinjiang, puis ils ont monté eux même un projet de SCOP.
Destruction illégale
Le 13 Janvier 2020, Luxfer a décidé de reprendre les démantèlements dans la plus parfaite illégalitée. Luxfer cherche à casser volontairement l’outil de travail pour se dédouaner de ses obligations de revitalisation, avec le risque de voir une friche industrielle polluée abandonnée en plein centre-ville. 5% des machines sont renvoyées dans les autres usines Luxfer, 95% du parc machine va être détruit. Ces 95% de machines prévues pour la destruction avaient été achetées par Pechiney entreprise nationale avant que l’usine de Gerzat ne soit bradée à Luxfer lors de l’effondrement du géant Pechiney. C’est donc le contribuable qui a payé ces machines.
Ce site industriel, construit en 1939 pour les besoins d’armement de la seconde guerre mondial, est une usine historique à bien des points de vue. Il a su évoluer et s’adapter pour devenir une référence en termes de qualité métallurgique. Il aura résisté à la seconde guerre mondiale, à une réquisition par les allemands, à l’effondrement de Pechiney, mais il risque de ne pas résister à l’avidité de financiers sans scrupule sous le regard passif et approbateur d’un état absent.
Il faut rappeler que depuis septembre 2019, l’inspection du travail avait bloqué une première tentative de démantèlement car les entreprises extérieures étaient mises en grave danger et le CHSCT n’avait pas été consulté. Mais la direction de Luxfer a profité de la loi travail et de l’arrêt automatique des mandats de CHSCT, CE, DP au 31 décembre 2019 pour se débarrasser des représentants du personnel et reprendre un démantèlement dans des conditions inacceptables. Les CSE n’étant pas mis en place dans cette entreprise, Luxfer ne risque que 7500€ d’amende, une somme qui ferait rire toute multinationale.
Le 20 janvier 2020, les salariés ont pu voir arriver devant l’usine de nombreux engins de démolition. Ils ont donc pris en main la situation en réquisitionnant eux même l’usine, là où l’état était resté encore une fois passif. De ce fait une soixantaine de salariés et ex-salariés se relaient jour et nuit pour occuper le site jusqu’à ce que l’état rende justice en mettant cette usine sous tutelle de l’état pour être mise à la disposition d’un repreneur.
Au-delà, de l’aspect illégal de ce démantèlement, Luxfer fait courir un risque aux citoyens de la ville Gerzat. Les machines sont encore branchées électriquement et certaines contiennent jusqu’à 14 tonnes d’huile. Les risques environnementaux, sanitaires ou d’incendie sont trop grand pour que l’état laisse faire cette destruction. Précisons aussi que la dépollution qui pourrait coûter entre 2 et 20 M€ risque de se retrouver à la charge des collectivités. Les lois actuelles n’inquiétant que la société française en fermeture et non le groupe.
Des productions d’utilité publique
Aujourd’hui, Luxfer joue de sa position de monopole pour mettre à genoux ses clients et des filières entières. Il est intéressant de rappeler quelles sont les productions de l’usine de Gerzat. L’oxygénothérapie (Assistance pour les personnes en déficience respiratoire) ou l’augmentation des maladies respiratoires dues à la pollution en fait un secteur médical stratégique.
Les bouteilles d’assistances respiratoires pour les ambulances et hôpitaux sont des produits d’utilité publique. Les ARI des pompiers ou la multiplication des incendies dû au réchauffement climatique en fait un enjeu majeur.
Mais nous pouvons aussi parler, d’un autre des monopoles de Luxfer, les réservoirs haute pression des véhicules PAC (Hydrogène) et GNV (Gaz naturel). Ce secteur automobile semble être un enjeu colossal dans la transition énergétique (Réduction des émissions de CO2, lissage des consommations de central nucléaire, etc…). Veut-on vraiment laisser une société ayant ce genre de pratiques posséder le monopole de la pièce la plus critique de ces véhicules ? Veut-on prendre le risque qu’un seul maillon de cette filière fasse effondrer un secteur industriel entier et tous ses emplois affiliés ?
La course au profit ne peut justifier de faire prendre des risques aux usagers et encore moins de risquer de faire effondrer un secteur stratégique qui fait partie des principaux enjeux de la sauvegarde de notre planète.
La loi travail, le motif économique et la compétitivité
Les fameuses ordonnances Macron et sa réforme du code du travail ont rajouté la compétitivité dans les motifs économiques. Malheureusement, ce motif n’est jugé que pour le licenciement des salariés protégés.
Un licenciement pour motif économique doit être motivé par la sauvegarde de l’emploi et de l’activité d’entreprise sur le territoire français en cas de forte concurrence. Or, l’usine de Gerzat est la seule usine Luxfer sur le sol français. Alors, comment justifier qu’en fermant définitivement l’usine de Gerzat on sauve cette entreprise ? Cela n’a pas de sens.
De la même manière, la soi-disant concurrence invoquée par Luxfer concerne notamment les extincteurs. Sauf que l’usine de Gerzat ne produit pas d’extincteur.
La direction de Luxfer ne cache pas que cette fermeture a pour unique but d’augmenter les profits des actionnaires et qu’ils sont sur des marchés de niche. Ils s’en vantent même en bourse sur le communiqué de presse du 1er trimestre 2019 de Luxfer Holding PLC.
L’inspection du travail a débouté le motif économique, la contre-enquête qui a suivi ne reconnait pas non plus le motif économique. Pourtant, à l’image des Whirpool, Copirel, SEITA, le ministère du travail risque de valider le motif économique sans le justifier. Il serait intolérable que l’état français favorise encore ce groupe Anglais quittant définitivement l’Europe avec le Brexit.
En plus d’avoir servi à conforter leur position de monopole, ce plan de licenciement a permis à certains de nos actionnaires de spéculer sur la destruction de cette usine. Blackrock (Fond d’investissement qui a fait parler de lui lors de la réforme des retraites) a acheté 33M€ de titres avant la flambé de l’action Luxfer, pour en revendre une partie lorsqu’elle était au plus haut.
Reclassement catastrophique
Le reclassement des salariés de Luxfer est catastrophique, avec seulement 15% de salariés reclassés au bout de 8 mois, dont la moitié en contrat précaire et à plus de 30 km de leur domicile.
Pendant plus de 4 mois, Luxfer a refusé de respecter l’accord PSE signé en préfecture en refusant de rembourser des frais de formation. Luxfer s’est vanté devant la DIRECCTE de le faire sciemment pour « donner une leçon de vie aux salariés ». La DIRECCTE n’est pas intervenue, la Préfète non plus. Ce sont les syndicats et 100 salariés de l’entreprise qui ont dû manifester leur colère devant l’usine pour débloquer la situation.
Le problème c’est qu’un employeur qui décide de ne pas respecter un accord de plan de licenciement, ne s’expose pas à des sanctions immédiates. Il sera condamné bien plus tard, ce qui ne remplacera pas l’interruption de la formation ou la précarité dans laquelle ses salariés auront été plongés.
L’état a expliqué aux salariés de Luxfer qu’il ne peut pas empêcher un employeur de refuser sciemment de respecter un accord PSE. Ce serait au syndicat de gérer pour débloquer ces situations rapidement ou passer par la justice à posteriori.
Ironiquement, l’état prétend n’avoir aucun pouvoir et délègue ses responsabilités aux syndicats mais d’un autre coté réduit les moyens des instances représentatives du personnel (Exemple des passages en CSE).
Un comportement ignoble de la direction
Depuis le début du PSE, Luxfer a monté de nombreux plans diffamatoires visant à accélérer la procédure du PSE et à faire virer des salariés pour faute lourde. Pourtant à chaque fois cela a été démenti par les Renseignement Territoriaux et cela a même valu à Luxfer une suspension du PSE par la DIRECCTE.
Pour citer quelques-unes de leurs tentatives :
– Ils ont fait croire que 2 élus avaient caché des bouteilles de gaz pour faire exploser le bâtiment administratif pour les faire convoquer par la police.
– Lors d’une grève, ils ont fait croire au Maire que les salariés avaient séquestré le directeur et ont demandé l’intervention de CRS. Le Maire est venu lui-même constater que la manifestation était pacifique et que le directeur se portait bien.
– Ils ont fait croire que le CHSCT harcelait l’ingénieur sécurité dans l’usine depuis 2 mois, sauf que celui-ci ne venait plus sur le site depuis 3 mois.
– Notre direction anglaise venait sur les postes de travail pour dire aux salariés «Vous ne vous êtes pas donnés les moyens de réussir dans la vie, c’est normal que vous soyez licenciés », « Contrairement à nous les dirigeants, en tant qu’ouvriers vous ne vous êtes pas donnés les moyens d’entretenir correctement votre famille », « Vous êtes des personnes incivilisées », « Joyeuses fêtes, vos meilleures années seront devant vous », etc… pour tenter de faire craquer les salariés.
– L’envoi d’huissiers de justice chez les élus
– Ils ont fait venir des « gardes du corps » non assermentés qui suivaient les élus dans Gerzat pour leur mettre la pression.
– Le nouveau directeur M. Leblond, insultait les salariés par la fenêtre « Vous êtes inutiles », « bon à rien », « vous êtes des pions sortant », et plus récemment « Bandes feignants, allez travailler »
– Des cadres dirigeants sont venus provoquer des salariés licenciés pendant leur entretien d’embauche collectif
Pourtant toutes ces pressions ont été dénoncées à l’inspection du travail. Mais Mme Fougerouse (Directrice départementale de la DIRECCTE) précisait que l’inspection du travail n’interviendrait pas sur des questions harcèlement.
Cela fait 14 mois que ces salariés se battent pour sauver leurs emplois. Cependant, des salariés livré à eux même ne peuvent pas faire face indéfiniment à une multinationale crapuleuse prête à perdre plusieurs dizaines de million d’euros et qui remplace ses directeurs dès qu’un se fatigue (3 directeurs se sont succédés depuis le début du plan de licenciement).
Pour conclure, les salariés de Luxfer déterminés continueront à occuper le site de Gerzat tant que leur usine ne sera pas placée sous tutelle de l’état pour être mise à disposition d’un repreneur. Tant que le Ministère du Travail n’aura pas invalidé le motif économique de ces licenciements. Et tant, qu’une aide plus poussée sur les reclassements des salariés soit mise en place.
Dossier de presse réalisé par la CGT Luxfer
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