L es chinois ont vécu dans le même temps, la destruction et le dépeçage de leur empire, le plus ancien du monde, un foyer de vieille civilisation a été livré aux puissances coloniales et ils ont été contraints à l’immigration. Là ils ont vécu les pires humiliations, ils ont été traité plus mal que la main d’oeuvre servile qu’ils devaient remplacer. Ils ont été plus humiliés encore si faire se peut que les peuples autochtones et les Africains par “le péril blanc”. Comme ici au Pérou.
Le gouvernement communiste chinois s’est donné dès l’origine pour mission de faire sortir le pays de cette humiliation coloniale, du dépeçage de leur territoire et on ne comprend pas leur attitude à l’égard de Hong kong et Taiwan si on ne comprend pas cette histoire. Ce sont les mêmes néo-colonisateurs qui continuent à organiser des campagnes pour la “défense de la démocratie” tout cela pour empêcher les Chinois d’accéder au rang que leur travail et leur courage méritent.
Mais il y a plus, la Chine veut retrouver à travers la diaspora cette immigration humiliée. D’abord partout répondre à la soif de dignité de son peuple, mais aussi se sentir le représentant de tous ces peuples qui ont partagé leur sort. Ils se sentent en quelque sorte les représentants du Tiers monde.
Il y a quelque chose de stupéfiant dans le racisme et la xénophobie dont font preuve les Français et tous les peuples colonisateurs tant ils témoignent d’une inculture profonde et d’un esprit de supériorité qui a fait accomplir à leurs propres maîtres, “élites” du pouvoir, du capital , des crimes et des dévastations inqualifiables. Alors que les Chinois n’ignorent rien de cette histoire.
Les illustrations de cet article présentent la construction du chemin de fer par la Pacific Railroad Company, à partir de Sacramento, commença en 1863 et se poursuivit jusqu’en 1869, à Promontory Point, Utah. Environ 10 000 travailleurs chinois et des Hispano-américains furent embauchés comme ouvriers. Ils travaillaient dans des conditions particulièrement dangereuses (des centaines d’accidents mortels ) et recevaient de bas salaires. L’entreprise de construction fut en revanche très rentable pour tous les investisseurs.
Anton Refregier, scène de lynchage d’un travailleur chinois lors de la construction du chemin de fer de la Central Pacific Railroad Company, en Californie vers 1865. Peinture réalisée en 1948.
Le Péril blanc
Mais pour comprendre ce qu’ont vécu les Chinois, il faut encore savoir que quand les grandes puissances coloniales imposaient à leur pays un dépeçage, la guerre de l’opium, il y a eu un exode massif, une immigration qui ne correspondait pas au mœurs de ce peuple.
Cet exode a correspondu aussi à l’interdiction de l’esclavage et à l’industrialisation des Etats-Unis, ils ont été engagés dans de terribles conditions décrites ici sur les chantiers de construction de chemin de fer.
Voici quelques dates qui permettent de mieux situer cette nouvelle étape du capitalisme qui passa de l’esclavage à une phase d’exploitation tout aussi dure dans laquelle la plus vieille civilisation du monde, la Chine, connut un état de dégradation et d’humiliation sans équivalent dans son histoire.
Les guerres de l’opium et le partage de la Chine : Depuis 1773, le Royaume-Uni dispose du monopole de la vente d’opium en Chine. Le Royaume-Uni cherche alors à affaiblir la Chine et la forcer à l’ouverture aux puissances étrangères1. En 1800, la Chine interdit la culture du pavot pour réduire l’hégémonie du royaume britannique sur le marché chinois, mais le Royaume-Uni importe alors le pavot d’Inde pour continuer à alimenter le marché chinois. La première guerre de l’opium est déclenchée lorsque la Chine interdit l’importation et la consommation d’opium en 1839.
La première guerre de l’opium se déroula de 1839 à 1842 et opposa la Chine au Royaume-Uni.
La seconde guerre de l’opium se déroula de 1856 à 1860 et vit cette fois l’intervention de la France, des États-Unis et de la Russie aux côtés du Royaume-Uni. Le nom par lequel est désignée cette guerre s’explique dans la mesure où elle peut être considérée comme le prolongement de la première guerre de l’opium.
L’esclavage est aboli aux Etats-unis en 1865.1851 : 21 mai, abolition de l’esclavage en Colombie12. 18 juillet, en Équateur,1853 : 1er mai, abolition de l’esclavage en Argentine.1854 : abolition de l’esclavage au Venezuela, sous la présidence de Jose Gregorio Monagas. 1855 : abolition définitive de l’esclavage au Pérou.
Mais les Chinois ne furent pas seulement engagés aux Etats-Unis, ils furent aussi engagés dans le sud et dans les Caraïbes et l’Amérique du sud pour remplacer une main d’oeuvre esclave. Leurs conditions étaient si abominables que j’ai eu l’écho à Cuba de leurs suicides.
Le cas du Pérou
Entre 1849 et 1874, des dizaines de milliers d’ouvriers venus de Chine travailler au Pérou ont été abusivement exploités.
Une des seize inhumations d’immigrants chinois du XIXe siècle récemment découvertes sur un site pré-inca de Lima, au Pérou.M.MEJIA / R. GOMEZ / MINISTRO DE CULTURA
ARCHÉOLOGIE. Mais que faisaient donc des sépultures chinoises dans une pyramide pré-Inca de la banlieue de Lima, au Pérou ? C’est avec surprise que des archéologues péruviens ont mis au jour au sommet de la Huaca Bellavista, une antique pyramide d’adobe vieille d’environ 800 ans bâtie par les Ychsma (1), un peuple précolombien, les restes de 16 ouvriers chinois décédés au Pérou à la fin du XIXe siècle et au tout début du XXe siècle. Le 23 août 2017, le ministère de la Culture du Pérou et Roxana Gomez, l’archéologue en charge de ces fouilles, ont en effet annoncé la découverte de 11 corps inhumés directement en pleine terre, simplement enveloppés dans d’humbles toiles de tissus alors que cinq autres reposaient dans des cercueils de bois. Certains défunts portaient encore la tresse. Une bière contenait une pipe à opium.
Une pipe à opium près de la dépouille d’un immigrant chinois du XIXe siècle. Son cercueil a été mis au jour sur le site de la Huaca Bellavista, à Lima (Pérou). © Ministerio de Cultura
Une terre d’immigration pour les travailleurs chinois
Pour comprendre cette insolite présence de ressortissants asiatiques dans les sédiments de terre grise d’un édifice pré-inca, il faut savoir que le Pérou a été l’une des grandes destinations de travailleurs chinois en Amérique latine au XIXe siècle, après que l’esclavage y a été aboli en 1854 (la traite négrière avait commencé a nettement diminuer après la déclaration d’indépendance du Pérou en 1821, le pays s’étant alors libéré de la domination coloniale espagnole). Dans un article publié dans le Journal de la Société des américanistes daté de 1994 (2), Isabelle Lausent-Herrera, anthropologue chargée de recherche au CNRS-Credal, revenait déjà sur la présence de ces travailleurs chinois au Pérou. La chercheuse expliquait alors qu’entre 1849 et 1874, la reconstruction économique du pays nécessitant une importante main-d’œuvre que ni les Africains libérés, ni les Indiens ne pouvaient fournir, près de 100 000 Chinois originaires des provinces du Fujian et du Guangdong, vinrent les remplacer dans les haciendas, les vastes exploitations agricoles. “Les grands propriétaires fonciers, les hacendados, et les concessionnaires des exploitations des îles à guano se tournèrent en effet vers la Chine où existait déjà une forme de traite de travailleurs sur contrat, celle des coolies, traite très proche de celle des Africains”, a déclaré Isabelle Lausent-Herrera jointe par Sciences et Avenir. “Les migrants chinois quittaient un empire qui s’effondrait. Les Guerres de l’opium [1839-1860] (3) ayant forcé la Chine à s’ouvrir, la perte de ses grands ports de commerce et de grandes révoltes agraires avec des millions de morts, engendrèrent un chaos propice à ces départs », ajoute la spécialiste.
Arrivés au Pérou dès 1849 dans le plus total dénuement, l’espoir d’une vie meilleure s’évanouit rapidement. En 1994, Isabelle Lausent-Herrera écrivait ainsi : “Rendus esclaves par des contrats abusifs [de 4 à 8 ans] les rattachant pour la plupart aux exploitations de guano ou aux grands domaines sucriers et cotonniers de la côte péruvienne, ces Chinois furent projetés dans un espace totalement étranger et hostile. Le désarroi dans lequel ils furent plongés, et qui se traduisit par de très nombreux suicides, fut augmenté par la privation de compagnes. Amenés sans épouse, soumis à de perpétuelles agressions de la part des contremaîtres noirs ou métis, regroupés dans des baraquements dans la plus grande promiscuité, les Chinois ont renvoyé dès leur arrivée l’image d’une race avilie dominée par ses vices.”
Des travailleurs chinois au Pérou à la fin du XIXe siècle. Les Chinois de la province du Fujian appartenaient aux groupes dialectaux Hokkien, Minnan et surtout Hakka. Par la suite, le recrutement de cette main-d’œuvre asiatique se fit plutôt dans les régions de Hong-Kong et de Macao. © Ministerio de Cultura
Interdits de cimetière
Au XIXe siècle, les coolies Chinois n’étaient pas autorisés à être inhumés dans les cimetières chrétiens de Lima. Il y avait donc des enterrements improvisés tels ceux découverts à la Huaca Bellavista. “La majorité des grands domaines fonciers autour de Lima s’étant développés autour d’anciens sites précolombiens incluant ces antiques espaces sacrés ou huacas, ces lieux non consacrés servirent à enterrer les non-baptisés tels que ces travailleurs chinois bouddhistes ou confucianistes pour la plupart”, ajoute Isabelle Lausent-Herrera. Une découverte qui n’est toutefois pas la première dans le pays andin. Par le passé, des restes de ces populations marginalisées ont été retrouvés accidentellement dans d’autres huacas et cimetières préhispaniques. Ce fut le cas à Tarma et Casma, sur la côte nord du Pérou. A la toute fin du XIXe siècle, néanmoins, ces travailleurs venus d’Extrême-Orient semblent avoir commencé à être mieux traités. “En milieu urbain, une bonne partie des Chinois avaient été baptisés au moment de leur mort, en conséquence de quoi ils étaient alors inhumés dans les nouveaux cimetières publics”, précise Isabelle Lausent-Herrera, auteure d’une étude sur les pierres tombales chinoises du cimetière de Presbiterio Matias Maestro, dans la proche banlieue de Lima.
Au fil du temps, une petite communauté chinoise a pu s’installer dans la capitale péruvienne. Toutefois, l’immigration chinoise a été sévèrement restreinte en 1909 et totalement interdite à partir de 1930. Avec Cuba en 1848 (pour les grandes exploitations sucrières), et les États-Unis en 1847 (dans le cadre de la construction des chemins de fer), le Pérou est aujourd’hui le pays possédant la plus ancienne communauté chinoise d’Amérique.
(1) Les Ychsma (Ychma ou Ichma) ont été l’une des premières grandes cultures apparues dans la région de Lima après la dissolution de l’Empire Wari (ou Huari) (750-1000). Leur intégration dans l’empire Inca a eu lieu au XVe siècle, juste avant l’arrivée des Conquistadors espagnols.
(2) Les Chinois du Pérou : une identité reconstruite, par Isabelle Lausent-Herrera, Journal de la société des américanistes, année 1994, volume 80, Numéro 1, pp.169-183.
(3) La Nouvelle Immigration chinoise au Pérou, par Isabelle Lausent-Herrera, Revue européenne des migrations internationales, vol. 25 n°1, 2009, pp. 71-96.
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