Bon d’accord, Clint eastwood a 90 ans mais il n’a pas battu le record de Manoel de Oliveira le grand réalisateur portugais né le 11 décembre 1908 à Porto, où il est mort le 2 avril 2015. Il a tourné jusqu’à la fin de sa vie, devenant le premier réalisateur centenaire en activité de toute l’histoire du cinéma. Lui aussi, en plus cultivé, plus européen, était un grand. Il n’empêcher à chaque film de Clint eastwood, le choeur de la critque s’exclame que ce film pourrait être le dernier. Si ça avait été “la mule”, on aurait conservé l’image d’un vieillard facétieux mais apaisé retournant en famille – en fait en prison- le reste de son âge. Apaisé mais pas un des meilleurs de ses films, pas un nanar mais pas un chef d’oeuvre. Mais là c’est à nouveau le cinéaste non dénué de violence et de sécheresse, qui va à l’essentiel sans hésitation, sans rien d’inutile, comme dans une bagarre bien filmée, pas un testament, une dénonciation.
Comme bien des grands cinéastes Clint Eastwood s’intéresse aux faits divers, il a raison: ceux-ci sont souvent des instantanés de la paranoïa des sociétés, des incidents mettant en relation l’individu avec l’institution, le destin, la tragédie grecque. Parce que comme Brecht et fritz Lang, eux aussi amateurs de faits divers, la réalité ne trouve son véritable sens que par la fiction. Et c’est dans l’art de la mise en scène de la machine à broyer que le cinéma excelle: peu ou pas de paroles, un enchaînement, le cadrage, le montage, nous voilà pris avec le malheureux héros. Le cas Richard jewell est celui d’un agent de sécurité qui découvre un paquet suspect dans un parc durant les jeux olympiques d’Atlanta en 1996 et fait tout pour protéger la foule. Héros pendant trois jours, le FBI qui n’a pas d’autre piste en fait le principal suspect. Un des membres de cette police d’Etat livre cette piste à un journaliste pour une partie de jambe en l’air et les foules se déchaînent contre le pauvre homme. Un avocat l’aide et dénonce la machination, mais les dégâts sont là.
On a tous lu ce résumé de l’histoire, ça décourage même un peu d’aller voir le film, ce serait une erreur parce deux heures qui en valent la peine, du divertissement incontestablement mais aussi un point de vue sur “le monstre”, ce pays qui a trop de pouvoir et qui l’inflige au reste de l’humanité et dans son ventre, un pauvre type qui nourrit cette chose inquiétante qui a nom les USA. Vu par un grand cinéaste.
Le grand cinéaste est capable d’inventer ces dernière scènes: celle où le FBI, qui est obligé de reconnaître qu’il n’a aucune charge contre ce malheureux Richard jewell et qui a saccagé sa pauvre maison, emmenant tout y compris les tupperwares et la lingerie de la mère, ramène les colis en procession, sans un mot, sans une demande d’excuse… Sur un des ustensiles est inscrit le chiffre 38 et il est impossible à effacer.
On pense que le héros a compris, mais quelques mois après son avocat le retrouve flic en uniforme dans un commissariat où il lui annonce qu’on a trouvé le véritable coupable. Il y a quelques moments de vérité comme ça dans le film, ceux où Richard jewell défend son identité et sa foi innocente en un système et un pays qu’il veut aimer, parce qu’il n’est rien d’autre que ce patriotisme, c’est pour cela d’ailleurs qu’il est un héros, parce que comme dans toute tragédie il n’est rien d’autre que ce rôle là. Oui mais ce brave type nous a fourgué Trump en prime.
Le film porte une vision critique de ce que l’Amérique des pionniers est devenue. Eastwood dresse un portrait au vitriol des médias à la recherche du sensationnel et une “bande de glandus” appointés par l’Etat du FBI, et qui s’en arroge le prestige aux yeux du héros, resté enfant dans sa graisse de nourrisson, à qui sa mère confirme “qu’il est bien le gentil contre les méchants”comme un héros de John Ford.
L’avocat- avec sa secrétaire échappée de la Russie des goulags – parait lui échappé d’un roman de Dashell Hamett, le communiste qui a refusé de plier devant le Maccarthysme. Ce contestataire, déguenillé, du nom de Waston Bryant, convaincu qu’un peu de pouvoir peut changer quelqu’un en monstre” est le seul à avoir traité Richard jewell autrement qu’en gros demeuré, il assume sa défense. Il tente en vain de convaincre son client poursuivi injustement pour un acte criminel qu’il n’a pas commis qu’il doit se méfier des agents fédéraux et qu’il doit se taire, ne pas leur faciliter le travail. Il le contemple mi-excédé, mi-admiratif en s’obstinant à lui expliquer que ceux-ci ne cherchent pas la vérité mais à le faire passer au hachoir. En vain, Richard Jewell est ce qu’il est un américain honnête qui croit en son pays et en son devoir de citoyen, il veut servir ce pays, le sauver de l’ennemi, l’empêcher de se mal conduire. Clint Eastwood à travers lui proclame que la terre promise d’une Amérique où chacun à sa chance est défendue par une bande de losers qui regarde avec de grands yeux étonnés le petit chef qui ne fait pas ce qu’il dit. La grande trouvaille du film est l’interprétation de son héros, la manière dont son corps obèse, douloureux, encombrant parle, souffre. Il n’est bien que sanglé dans un uniforme,comme si celui dont tout le monde se moque en l’appelant bibendum cherchait à montrer sa véritable valeur, le besoin d’aimer et de protéger qui l’habite.
Oui Clint Eastwood est un homme de droite et le revendique, mais dans un temps où la gauche est justement entrée en collaboration étroite avec ce système médiatique, ces institutions qui ont perverti la naïveté américaine des origines, celle qu’il revendique, son regard, celui de la caméra s’attache au quotidien, au concret des petites gens, ceux qui n’ont pas le droit à la parole. Tarentino ne cesse de déplorer la fin du western comme la fin d’Hollywood et en tant qu’homme de gauche parodie les temps héroïques avec roublardise en témoignant de la fin du décor, Clint Eastwood va dans la rue aux côté de l’électeur de Trump et lui fait exprimer les raisons de la foi du charbonnier en ce monde disparu.
Je pense alors à ce que cet intellectuel chinois Cui Zhiyuan dit du post modernisme des sociétés occidentales, il marque selon lui l’échec de la classe bourgeoise capitaliste à porter l’universel de l’émancipation humaine, tout a commencé avec le partage du monde, les guerres mondiales, l’impérialisme stade suprême du capitalisme et il revendique pour la Chine avec l’apparition de l’acteur prolétaire du Tiers monde le leadership… Clint eastwood n’est pas loin du diagnostic mais il lui oppose la générosité de l’Amérique de John Ford, le réservoir n’est pas encore épuisé puisque le petit peuple est là… pour y croire.
“on lui a jamais laissé la chance de montrer qu’il était innocent” a jeté Clint Eastwood à la presse lors de la présentation du film à Atlanta.
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