Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

L’avenir de la libye sans Kadhafi vu de Moscou par Andrei Fediachine

Les informations sur les derniers instants de la vie de Mouammar Kadhafi sont complètement contradictoires. Mais à en croire les représentants du Conseil national de transition libyen, le colonel est mort des suites de ses blessures près de Syrte (sa ville natale), d’où il tentait de fuir après la prise de la ville par les rebelles.

Il est à noter que l’ancien dirigeant de la Libye et dictateur n’est pas du tout mort dans un combat contre les rebelles, mais suite à une “frappe chirurgicale” de l’aviation de l’OTAN.

Il s’avère que l’Alliance a mis un point là où elle n’avait pas le droit de le faire: personne n’avait autorisé l’OTAN à pourchasser Kadhafi et à bombarder les environs de la ville de Syrte assiégée par les rebelles de tous les côtés.

Les problèmes de la Libye ne font que commencer
Si toutes les guerres civiles ou les malheurs d’un pays se terminaient avec l’élimination de son tyran et dictateur, la Libye pourrait déjà être considérée comme totalement libre. D’ailleurs, selon les normes africaines, la guerre a été très courte. Les premières manifestations ouvertes contre Kadhafi ont commencé le 15 février 2011. Depuis son arrivée au pouvoir, le 1er septembre 1969, Kadhafi a tenu 42 ans, 1 mois et 20 jours.

Il est incroyable de voir comment le pouvoir absolu change un homme. Entre le capitaine Mouammar Kadhafi, organisateur du coup d’Etat de 1969, et le dirigeant libyen Mouammar Kadhafi au moment de la révolte en février 2011, la différence est telle qu’on croirait difficilement qu’il s’agit de la même personne. Kadhafi version 2011 avait sa place dans un cirque: un dictateur presque vaudevillesque dans un uniforme d’opérette couvert d’or et de paillettes. C’est ce à quoi Michael Jackson aurait pu ressembler s’il avait vécu jusqu’à 69 ans.

Comme beaucoup de tyrans qui ont commencé comme Robin des Bois et/ou comme des libérateurs, Kadhafi a connu tous les stades de la métamorphose, du chef de la révolution courageux et adoré, au pitre dégénéré, narcissique et cruel.

Si la fin de la révolution marquait la fin de tous les problèmes d’un pays, la Libye pourrait déjà être considérée comme ayant plongé dans le bonheur. Malheureusement, les problèmes ne font que commencer.

L’élimination de Kadhafi ne marque pas le début de la démocratie
Et il ne s’agit pas personnellement de Kadhafi. Depuis longtemps plus personne n’éprouvait de sympathie pour lui. Mais ce qui s’est produit, ce qui se produit et se produira en Libye pourrait considérablement changer la situation en Afrique du Nord et dans toute la région arabe et proche-orientale. Pas demain ou dans une semaine. Dans un avenir cependant relativement proche.

L’exportation de la démocratie par le biais de l’OTAN n’est pas vraiment ce que les arabes attendaient. Ou ce à quoi ils étaient prêts. Sur un plan géopolitique l’intervention de l’OTAN a changé beaucoup de choses. Et plutôt en mal.

Beaucoup de choses ont été dites sur la résolution 1973 tristement célèbre du Conseil de sécurité des Nations Unies. La Russie a cédé aux instances des Etats-Unis, du Royaume-Uni et de la France de la respecter, alors qu’il était clair depuis le début que ce document allait être interprété de manière très large.

Ce n’est pas une grande perfidie en soi. Les résolutions de l’ONU sont toujours élaborées de manière si habile qu’il est possible de les détourner. Les avocats rusés peuvent les étirer dans n’importe quel sens, et de manière si large que l’élément clé devient imperceptible. La résolution 1973 en est un parfait exemple. Et une bonne leçon.

Le veto de la Chine et de la Russie contre une résolution similaire sur la Syrie (cette fois sans l’exclusion aérienne) est la première réponse à de tels mensonges. Les différends au sein du Conseil de sécurité n’apporteront rien de bon. Mais l’OTAN et l’Occident ne peuvent que s’en prendre à eux-mêmes.

Le scénario afghan se répète
Mais ce n’est pas le pire. Il n’existe aucun pouvoir ou parti uni qui pourrait pendre le pouvoir en Libye. Ce n’est pas quelque chose d’incroyable pour les pays qui viennent de vivre une période aussi turbulente de leur histoire.

Le danger se cache ailleurs. C’est le paradoxe de la guerre libyenne auquel peu de gens accordent de l’attention.

Depuis que l’Occident a de nouveau changé d’attitude envers Kadhafi, qui depuis 2003 s’était transformé en allié, ni les Etats-Unis, ni le Royaume-Uni, ni l’Italie, ni la France (dans une moindre mesure) n’avaient jamais eu de meilleur allié pour lutter contre Oussama Ben Laden et Al-Qaïda que les services de renseignement libyens. Tout le travail de renseignement et la majeure partie des informations passaient par la Libye ou venait de Tripoli.

Il s’avère que l’OTAN a bombardé son principal partenaire dans une guerre invisible contre le mal absolu de notre époque – le terrorisme international.

Seule une minorité perçoit également une autre particularité de la guerre civile en Libye. Ou plutôt de la guerre des troupes rebelles rafistolées soutenus par les forces de l’OTAN contre l’armée de Kadhafi. En fait, la majeure partie des forces rebelles, environ 80%, sans parler de leur noyau, ce sont des islamistes radicaux, des Frères musulmans.

Le commandant militaire de Tripoli Abdelhakim Belhaj en est un parfait exemple. Il jouit d’une grande notoriété, il prétend aux postes clés dans le gouvernement et ne cache pas son aversion pour le CNT actuel. Qui plus est, pour les patrons de l’OTAN.

Abdelhakim Belhaj est le numéro un du Groupe islamique combattant libyen (GICL), classé comme organisation terroriste par Washington. Il a été à une époque retrouvé en Malaisie par le MI6 britannique, remis à la CIA puis… au colonel Kadhafi. Il a passé 7 ans en prison, où il était torturé en permanence. Il a été également interrogé par les officiers de la CIA et du MI5, et rien n’a été fait pour le libérer.

De la même manière les Etats-Unis et la Grande-Bretagne “étaient aux petits soins” pour les talibans au début de leur existence au Pakistan. On connaît le résultat. Hélas, il y a beaucoup de similitudes avec la Libye.

Les révolutions sont des substances dangereuses et elles doivent être stoppées. C’est indiscutable. Au Moyen-Orient, elles sont d’autant plus dangereuses: le pétrole, le gaz, le canal de Suez, le conflit israélo-palestinien, la guerre en Irak et en Afghanistan… La révolution libyenne sera peut-être le dernier changement par la force d’un mauvais régime. Mais le problème est de savoir quel régime le remplacera.

La démocratie et la stabilité ont été aux pôles opposés dans les pays du Maghreb et du Moyen-Orient. Et encore si on permettait à la démocratie de poindre à l’horizon – c’est une chose rare pour les pays du Maghreb, à l’exception de l’Algérie démocratique.

Quant au pétrole, c’est un thème à part de la discussion sur l’avenir de la Libye…

Article publié dans Ria Novosti

PS. de Danielle Bleitrach illustration installation de Ai weiwei…. Un des artistes chinois les plus célèbres actuellement… la réflexion de cet article “les révolutions sont des substances dangereuses et elles doivent être stoppées”, lui conviendrait-elle, lui l’artiste dissident proche de l’occident. L’important est que l’installation soit belle… et qu’elle incite à penser à un chemin rouge et à l’issue incertaine.

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