Toujours la flânerie, je consulte les bonnes feuilles de l’ essai d’Elizabeth Roudinesco intitulé Lacan, envers et contre tout (1). une annonce dans ma boîte à E-mail : en mai 2012,Jacques Alain Miller le grand prêtre lacanien, l’époux de Judith Miller, vient à Aix-en-provence. Je n’irai pas et pourtant je m’intéresse beaucoup à Lacan, mieux ou pire j’ai une antipathie viscérale pour ceux qui croient faire preuve de “bon sens” ou de scientisme en dénonçant les impostures lacaniennes, comme ce livre stupide de Bricmont et SoKal tout autant que pour les âneries d’un Michel Onfray qui a fait de Freud un nazi, antisémite, incestueux, pervers, gourou… Ces exemples prouvent combien la rationalité peut se retourner en son contraire et venir en appui de tous les obscurantismes du temps. Il y a un côté maître Collard dans cette soif médiatique qui se veut pragmatique en flattant le populisme, le bon sens, le gros bon sens: la passion de l’ignorance et la haine de la pensée. Ce qui ne serait pas plus tragique que les errances de Bouvard et Pecuchet si cela n’allait pas avec une contre-révolution politique dont les plus faibles font les frais. Mais j’ai aussi quelques résistances à l’idolâtrie et n’étant pas spécialiste je n’ai pas le goût d’aller écouter Jacques Alain Miller, préjugés sans doute…
A ce genre de petites médiocrités de gens en mal de notoriété aussi bien que la tendance à la secte, j’opposerai volontiers l’honnête travail d’Elizabeth Roudinesco. Que l’on me comprenne bien son livre comme celui consacré à l’Histoire de la psychanalyse dont la troisième partie ne s’interessait qu’à Jacques Lacan ne posent sans doute pas des jalons théoriques incontournables, mais déjà elle avait réussi à nous faire comprendre en quoi l’intervention de Jacques Lacan a profondément orienté pour le pire mais incontestablement pour le meilleur aussi la destinée de la psychanalyse française. Elle poursuit sur cette lancée en nous montrant en quoi Freud et Lacan ont marqué une certaine conception révolutionnaire de l’émancipation humaine. Et c’est là-dessus que je la rejoins en considérant que les détracteurs de Freud et de Lacan ci-dessus cités sont avant tout des réactionnaires. Je pars d’une expérience. Qui a eu le malheur de cotoyer la psychose de l’un des siens sait la vanité des espérances de guérison par la psychanalyse et pourtant il sait aussi que c’est de cette même psychanalyse que l’on peut espérer un regard plus humain sur la maladie mentale, sans ce regard non seulement de la famille et des proches mais du corps médical et de la société, celui qui vit ce qu’on appelle la folie est soumis à la pire des barbaries. Non seulement celui que l’on désigne comme le malade mais ses proches enfermés, isolés, culpabilisés, désespérés. Et on doit beaucoup à Lacan, qui issu d’un milieu médical, osa énoncer dans les années trente en pleine crise que l’avancée freudienne était le seul horizon possible de la démocratie, parce que la seule démarche capable de saisir toutes les facettes de la complexité humaine. Oui de la démocratie, alors que Freud comme Lacan étaient des conservateurs sur le plan politique.
Il m’arrive de dire que marxisme et freudisme sont comme la théorie des quanta et la relativité, deux théories théoriquement inconciliables mais que la pratique de la physique ne peut repousser. Et comme marxisme et psychanalyse freudienne sont deux pratiques,je considère que l’expérience socialiste du XX e siècle a fait la preuve qu’elle avait besoin de la réflexion de ces deux conservateurs éclairés qu’étaient Freud et Lacan. Qu’il s’agisse de Freud ou de Lacan leur vision de l’être humain est sombre. La frustration est nécessaire à l’humanité pour contenir son agressivité mais la frustration rend les êtres humains malheureux, puisque parmi les vivants, seuls les hommes à la différence des animaux, sont habités par un désir de destruction dont ils ont conscience. Lacan fut le vaticinant héros intellectuel des séminaires, mais il ne quitta jamais non plus l’hôpital Saint Anne “Et c’est à ce titre qu’il acquit une véritable popularité auprès de milliers de psychologues et de travailleurs de la santé mentale. N’avait-il pas conféré un prestige accru à la thématique des fondateurs de la psychothérapie institutionnelle, née au cœur de la Résistance, à l’hôpital de Saint -Alban en Lozère(2), et qui avaient promu une médecine mentale au service du malade et non plus soumise aux classifications archaïques issus de l’ancien ordre asilaire?” nous dit Elizabeth Roudinesco.
En ce temps-là la Résistance, le désir de Révolution avait un parti qui permettait la rencontre de ces deux théories inconciliables que sont le marxisme et la psychanalyse avec la transformation d’une pratique dans le sens d’une mise au service du malade. Et c’est cette possibilité là qui est aujourd’hui attaquée avec une violence inouïe tandis que le discours ou plutôt le cynisme accompagne la mise en pièce de l’espérance.
“En France, huit millions de personnes souffrent de troubles psychiques et ils se soignent comme ils peuvent: médicaments, thérapies diverses, médecines parallèles, cures en tout genre, développement personnel, magnétisme, et.. Partout dans le monde démocratique, des procédures de médecine de soi se développent à l’infini, à l’écart de la science et, le plus souvent, de la raison. Dans ce monde-là, la quête du plaisir – et non pas du bonheur collectif- s’est substituée à l’aspiration à la vérité. Et comme la psychanalyse est tenue à la recherche de la vérité de soi, elle est entrée désormais en contradiction avec cette double tendance à l’hédonisme, d’une part, au repli identitaire, de l’autre.”
Personnellement je ne suis pas psychanalyste, mon initiation à ce domaine de la pensée reste superficielle mais je suis un usager, confrontée à la solitude d’un parent de malade et donc une démarche politique, celle qui restitue à un être humain la complexité et les facettes de son humanité non seulement dans l’abstrait théorique mais dans tout ce qui a été construit pour soigner et libérer.
Elizabeth Roudinesco fait intestablement partie de cette famille d’esprit qui pour n’être plus communiste, impliquée dans un parti quelconque, ne renonce pas à espérer la lueur d’un changement. Et on a envie de la suivre quand elle déclare “Mais du même coup, notre époque produit aussi la contestation de ce qu’elle met en scène: c’est quand le péril est le plus grand, disait Hölderlin, que le salut est le plus proche- comme l’espoir d’ailleurs. La preuve après: après trois décennies de critiques ridicules contre l’idée même de révolte, voilà qu’émerge, hors de l’Europe qui l’avait vu naître, un nouveau désir de Révolution”.
Cette phrase me plairait tant si celui qui l’a prononcé Hölderlin n’était tombé dans le mutisme de la folie face à la Révolution allemande impossible. Ou encore si la sinistre expédition libyenne de l’OTAN et de notre président flanqué de Bernard Henri Levy n’était venu témoigner de la manière dont ce désir de Révolution, peut-être simplement désir de jouissance, revendication de plaisir ce bourreau sans merci, peut être dévoyé, caricaturé.
Mais j’ai envie comme Elizabeth Roudinesco de me rallier à l’idée que “demain est un autre jour” et que malgré tout il y a une nouvelle espérance. Elle nous invite à suivre une part secrète, un vagabondage autour d’une pensée, d’une vie, d’une œuvre à laquelle toute une génération, celle qui était marquée par ce désir de révolution s’est trouvée mêlée. Elle ne veut en faire ni une idole, ni un démon mais de quelqu’un qui a entrevu les temps à venir : “Ce Lacan-là a su annoncer les temps qui sont devenus les nôtres, prévoir la montée du racisme et du communautarisme, la passion de l’ignorance et la haine de la pensé, la perte des privilèges de la masculinité et les excès d’une féminité sauvage, l’avènement d’une société dépressive, les impasses des Lumières et de nla révolution, la lutte à mort entre la science érigée en religion, la religion érigée en discours de la science, et l’homme réduit à son être biologique: “Nous allons être submergés avant pas longtemps, disait-il en 1971, de problèmes ségrégatifs que l’on appellera le racisme et qui tiennent au contrôle de ce qui se passe au niveau de la reproduction de la vie, chez des êtres qui se trouvent en raison de ce qu’ils parlent, avoir toute sortes de problèmes de conscience”.
Lacan serait un Libertin lucide et désabusé mais qui jamais ne renonce à la quête de la vérité, défendant les lumières contre l’obscurantisme mais en multipliant les garde-fou parce que la rationalité peut toujours se retourner en son contraire et susciter sa propre destruction. Nous en sommes là dans un temps où ce qui se veut une pensée de gauche se croît sorti d’affaire en défendant l’hédonisme et un athéisme déterministe un désespoir intégral, un horizon indépassable du capitalisme pour Onfray et le racisme se substituant à la lutte des classes pour l’homme réduit au biologique pour l’anarchiste positiviste que se veut un Brismont. Tandis que les communistes faute d’être en mesure de produire de nouvelles pratiques révolutionnaires collectives s’enchaînent à de telles visions du monde et n’osent même plus les critiquer.
Danielle Bleitrach
(1) Elizabeth Roudinesco Lacan, envers et contre tout, Le Seuil.
(2) Ma rencontre avec les étudiants tout à coup m’incite à préciser cette notation parce qu’il y a toute chance que Constance et aucun de mes condisciples de cinéma sache de quoi il est question. Je me demande s’il se trouve un seul prof même féru de lacanisme pour savoir de quoi il est question. Pourtant c’est une histoire formidable et tous ceux qui s’acharnent contre les communistes, les marxistes libertaires semblent ignorer ce que ce courant de pensée a produit en matière de liberté. Alors voici: Le Centre Hospitalier qui apris aujourd’hui le nom de François Tosquelles est spécialisé dans la psychiatrie. Il se situe dans la commune de Saint-Alban-sur-Limagnole en Lozère. De nombreuses personnalités séjournèrent dans cet hôpital : Paul Eluard, Tristan Tzara. Aujourd’hui considéré comme le berceau de la psychothérapie institutionnelle (“Saint-Alban fut propice aux fondements de la psychothérapie Institutionnelle” ), il fut dirigé par exemple par François Tosquelles, Lucien Bonnafé ou encore Paul Balvet. Enfin, plusieurs créateurs d’art brut viennent de cet hôpital : Auguste Forestier, Marguerite Sirvins, Benjamin Arneval, AImable Jayet ou encore Clément Fraisse.C’était un haut lieu de résistance à l’occupant nazi mais aussi un foyer de transformation de la conception de la relation à la maldie mentale, le “fou” fut traité avec respect.
– François Tosquelles est un psychiatre catalan, né le 22 août 1912 à Reus en Catalogne et mort le 25 septembre 1994 à Granges-sur-Lot. C’est un des inventeurs de la psychothérapie institutionnelle, mouvement qui, de Saint-Alban à La Borde, a influencé fortement la psychiatrie et la pédagogie depuis la moitié du XXe siècle. Républicain marxiste de sensibilité libertaire, il avait déjà eu l’occasion de transformer la pratique médicale en Espagne, pendant la guerre civile. Il a, par exemple, embauché des prostituées comme personnel soignant, celles-ci s’y connaissant, en matière d’hommes (voir le film réalisé sur François Tosquelles : Politique de la folie). Condamné à mort par le régime de Franco, il se réfugie en France à l’hôpital psychiatrique de Saint-Alban-sur-Limagnole, en Lozère, avec dans ses bagages, deux livres : celui d’ Hermann Simon (Hermann Simon, Aktivere Krankenbehandlung in der Irrenanstalt ; c’est dans ce livre que l’on trouve la thèse qu’un établissement est un organisme malade qu’il faut constamment soigner) et la thèse de Jacques Lacan (Jacques Lacan, De la psychose paranoïaque dans ses rapports avec la personnalité), dont il fait réaliser pendant la guerre des éditions clandestines par l’imprimerie du club des malades de l’hôpital. Il participe alors à la transformation de Saint-Alban.Tosquelles sera d’abord rémunéré comme psychiatre par le Mexique, le seul État qui ne reconnaîtra jamais le régime de Franco. Tosquelles devra recommencer en France toute sa formation, repassant par les statuts d’infirmier, d’interne, pour devenir médecin-chef de l’hôpital de Saint-Alban en 1952. Il restera très attaché à cet endroit, et sera l’un des fondateurs de la Société du Gévaudan.
– Lucien Bonnafé (Figeac, 15 octobre 1912 – 14 mars 2003) est un psychiatre désaliéniste français qui a élaboré et mis en place la politique de secteur psychiatrique.membre du parti Communiste son nom reste attaché à la sectorisation des soins psychiatriquesQUI consiste à prendre en charge le malade dans l’aire géographique proche de son domicile. Par le développement de structures intermédiaires extra-hospitalières, elle permet d’assurer la continuité des soins en permettant le maintien des personnes hors des murs, constituant une rupture totale avec l’asile. (On considère la naissance officielle de la sectorisation en 1958, mais la première circulaire ministérielle date de 1972).
Après la guerre, Lucien Bonnafé n’a cessé de dénoncer la mort des 40 000 malades mentaux, victimes de l’Occupation[1] : « ils furent exterminés dans les hôpitaux psychiatriques par la faim et le froid. » J’ai pris ces notes dans Wikipedia pour faire vite, mais je pourrais en écrire des pages et des pages parce que ces gens furent mes contemporains comme Tony Lainé autre psychiatre communiste..
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