Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

Habemus Papam, le volley, l’acteur et la mélancole à l’italienne

Je sors d’un très grand film, j’ai besoin de le revoir une ou deux fois pour vous en parler. Il s’agit d’impressions à chaud où le film m’a dominé sans recul possible avec le sentiment que j’étais devant  un melancholia à l’Italienne par Nanni Moretti… ce qui par rapport à Lars von trier change tout. Ce n’est pas une planète errante qui frappe la terre et l’anéantit mais le Vatican et avec lui l’Italie, l’Europe qui depuis des millénaires ne cesse d’être hanté par l’Empire romain, qui s’effondrent… le dernier plan qui représente la grande basilique nous paraît même vaciller tant ce qui vient de se passer est inconcevable.

D’abord que l’on ne s’attende pas à une charge contre l’église catholique, Nanni Moretti ne contribue pas à la médiocrité générale qui consiste à caricaturer d’une manière ignoble ce qui vous est étranger ou trop proche y compris quand il dénonce Berlusconi. Le Vatican est, on le sait depuis Machiavel et même Dante, la malédiction de l’Italie mais le cancer est devenu consubstantiel à l’identité, un peu comme il y a peu le communisme. Le communisme a disparu dans une piscine avec ce député italien qui tentait de surnager, hurlait devant le langage incompréhensible de la présentatrice de téle tandis que le docteur Jivago passait un peu plus loin sur les écrans. Pour le communisme c’est terminé, Nanni Moretti n’en parle plus,  le règne fut intense mais très court alors que pour l’Eglise cela se poursuit et dans le fond l’effondrement  a peut-être commencé avec la prise de Constantinople par les Turcs, la chute de l’Empire romain, la découverte de l’Amérique, il ne rest plus qu’à transformer les cardinaux en joueur de Volley, l’Amérique latine et l’Afrique contre l’Europe, l’Océanie qui tente d’accéder au tournoi avec un arbitre un psychanalyste athée joué par Nanni Moretti…

La description d’un pouvoir, des rites immuables, un conclave complètement coupé de l’extérieur avec des braves gens comme vous et moi qui ont peur, une peur panique parce qu’ils ignorent ce qu’il faut faire et que dieu ne peut pas se tromper. Tout le début cette majesté qui se déploie d’une manière presque fellinienne, presque sans un mot sauf le bavardage du reporter de télé toujours à contretemps, alors que l’attente est suspendu au choix d’une bande de petits vieux apeurés. Un autre film surgit quand on fait appel au psychanalyste Moretti pour remettre sur pied un pape qui vien d’être élu et qui n’a pas la force d’aller au balcon prononcer les quelques mots qu’on attend de lui. Cela donne une séance hilarante où le psychanalyste respectueux du protocole du vatican prétend explorer devant tous les cardinaux l’inconscient du pape dépressif.  On rit et puis passe le souvenir du film de Cavalier Pater dont j’ai déjà parlé en présentant ce blog, chaque fois qu’il y a rencontre au sein du pouvoir c’est par référence au métier d’acteur plus ou moins bien assumé. D’ailleurs le pape sait qu’il a été refusé au conservatoire parce qu’il n’est pas un acteur même s’il rêve des tournées d’Hôtel en hôtel, des nuits passées à discuter de l’interprétation. Et le psyschanalyste aussi confronte son métier, sa vision de la dépression à ce à quoi il doit se conformer. de multiples films s’enroulent les uns dans les autres et demeurent indécis comme l’est ce pape admirable joué par Piccoli qui ne cesse de s’effacer, frise l’hystérie ou même la psychose pendant que Moretti pris au piège dans la forteresse vaticane occupe son temps comme il peut.  Les rites voilà ce qui est aussi important pour Nanni Moretti que pour un confucéen. Respecter les rites comme les règles d’un jeu de carte ou d’un match de volley. Ce n’est pas une plaisanterie c’est même la seule chose qui reste sérieuse. Quand la fiction du libre arbitre de l’être humain à l’image de celle du créateur s’effondre d’une manière qui réjouirait Spinoza il  faut qu’il reste un arbitre pour imposer le respect des dits rites et tant pis si celui-ci est athée. Ce n’est pas plus ridicule que cet effondrement du communisme allant chercher un arbitre étranger à lui-même pour tenter de faire comme ci…

Mais comment dire l’essentiel à quel point nous sommes devant la beauté, la majesté et en même temps le burlesque… Nanni Moretti est ailleurs, il a toujours été ailleurs, s’étonnant de ces mots qui ont perdu tout sens, reconnaissant l’incapacité devant l’immensité du désastre… Et le rire surgit, comment peut-on s’obstiner à vouloir du bien aux être humains qui ne cessent de s’effondrer comme ce cardinal qui chute en plein conclave ou tentant des chorégraphies pour faire comme si, comme si tout cela avait un sens… Nanni Moretti nous entraîne au cœur même de la chute de l’Italie, de l’Europe, de notre monde sans jamais insister sur les effets symboliques il nous introduit dans un monde familier et complètement étranger où tout baigne dans un halo de significations mouvantes avec un nombre illimité de combinaisons mentales pour le spectateur et il se perd, nous perd sans jamais nous dire ce qu’il faut penser. Bien sûr quand on voit le rideau de la fenêtre papale s’agiter spasmodiquement parce qu’un garde suisse qui s’empiffre a été chargé d’entretenir la fiction de la présence papale tandis que Michel Piccoli erre (sans vespa) mais en autobus dans les rues romaines, on songe vaguement à une pratique onaniste qui réjouit tous ces braves cardinaux qui voient là et dans le retour des plateaux vides un signe que le pape se reprend. Mais il n’y a pas une scène où le monde ne se décompose parce que l’inconscient qui a pris la place de l’âme est un langage qui se destructure… malgré la bonne volonté de chacun…
Précipitez-vous c’est un des meilleurs Nanni Moretti… Ce matin je parlais à mon analyste de la fin de Melancholie, je lui expliquais le bonheur éprouvé devant un bon film, un livre, un tableau, un paysage, un enfant, je lui racontais la fin de Melancholie, le moment où la femme construit pour l’enfant et sa soeur si fragile une “cabane magique”, un endroit où se réfugier en attendant le choc, et je commentais ” je construis ma cabane magique”. Il m’a dit “mais vous savez que le choc va arriver”, Oui je le sais et j’ai peur très peur comme Nanni Moretti et Michel Piccoli fuyant dans un théâtre où il répete en même temps qu’un acteur fou une pièce de Tchekov.

Est-ce simplement la fin d’un monde ou la fin du monde… ou seulement ma propre fin ce qui n’aurait rien de bien dramatique du moins à un simple niveau statistique ?  J’ai proposé l’abstention à l’élection présidentielle comme ce pape qui finit par aller au balcon pour expliquer qu’il n’a pas la force d’impulser les réformes indispensables, qu’il a besoin d’être guidé pas de guider et j’aimerai qu’un mouvement se déclanche de lucidité générale et que tous ceux qui font ce choix conscient porte un badge représentant la colombe de la paix de Picasso… Le dernier acte de Palombella Rossa puisque La messe est finie

Danielle Bleitrach

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