Histoire et société

Dieu me pardonne c'est son métier

COVID-19 : LETTRE AU PRÉSIDENT D’UN MÉDECIN GÉNÉRALISTE DE VILLE. « LES SOIGNANTS N’EN PEUVENT PLUS » PAR FRANCIS YAICHE PROFESSEUR ÉMÉRITE DES UNIVERSITÉS.

COVID-19 : LETTRE AU PRÉSIDENT D’UN MÉDECIN GÉNÉRALISTE DE VILLE. « LES SOIGNANTS N’EN PEUVENT PLUS » PAR FRANCIS YAICHE PROFESSEUR ÉMÉRITE DES UNIVERSITÉS.

yasmina

Francis Yaiche
Professeur émérite
des Universités

Monsieur le Président Emmanuel Macron,

En ce 2 avril 2020, je vous fais une lettre que jamais je n’aurais imaginé devoir écrire dans ma vie. 

Nous avons un médecin de famille qui nous a soignés, ma femme, mes enfants et moi, avec dévouement, science et conscience ; et surtout qui nous a – à plusieurs reprises – sauvé la mise ces dernières décennies. Le voilà présent « à nouveau », mobilisé à plein temps, sur le front du méchant Covid-19 (vous adorez le registre martial, paraît-il !). Pourquoi « à nouveau » ? Parce que ce médecin affronte sa deuxième crise sanitaire majeure. Il a en effet été très-très-très engagé dans la lutte contre le HIV dans les années 80-2000 et suivantes et il a vu mourir de trop nombreux malades, même si sa compétence, ses engagements multiples, mais aussi son humanité et son écoute bienveillante lui ont permis de sauver des vies et des âmes.

Mais au hasard d’un échange de messages avec lui, des messages surtout destinés à lui souhaiter bon courage, voilà qu’il nous avoue « qu’il a des moments où il n’en peut plus, qu’il craque, qu’il est épuisé ». Lui, épuisé ? Impossible ! Un homme comme lui. Une force de la nature, entretenue grâce à une solide hygiène de vie, physique comme psychique.

On ne peut pas, on ne veut pas le croire. Car, si lui craque, qu’en sera-t-il des autres soignants qui ne sont pas aussi solides que lui ? Certains soignants, très courageux, doivent reprendre d’ailleurs le travail quelques jours seulement après avoir été guéris de leur infection Covid, aidés, autant que faire se peut, par des dispositifs de soutien moral comme l’écoute téléphonique. Vous devez connaître les chiffres, Monsieur le Président : rien qu’à l’A.P.H.P., on dénombre 1200 cas de Covid-19, dont 40°/° de médecins ! Étonnant, non, comme disait Pierre Desproges ? Non ! Pas étonnant. Pas étonnant car personne n’entend leur appel à l’aide. Alors, traduisons en langage des signes pour les « mâles blancs », euh, pour les malentendants : « S.O.S. », veut dire « Save Our Souls », « A l’aide », « Help », « Help me », « Help us », « Ayudo », etc. Tsunami = vague déferlante sur tout et tous = on se noie… Au secours !

Vous l’avez compris, Monsieur le Président, je ne peux pas ne pas le soutenir, c’est une question d’humanité sinon d’honneur et de morale. Je ne peux pas, à mon tour, ne pas chercher par tous les moyens à l’aider. Et vous non plus. Mais comment faire, moi qui suis confiné et qui, à part vous, ne connais personne et ne vois pas comment je pourrais faire remonter toutes les informations de terrain au gouvernement de Monsieur Philippe, un gouvernement sourd ou autiste, qui dit, prétend, écouter mais n’entend pas. Oui, j’ai envie de l’aider et de relayer son cri d’alarme. Quand vous aurez lu son appel, vous aussi, j’en suis sûr. Alors, soyez son ambassadeur auprès du Premier Ministre, le Haut Parleur de la cause de ces médecins généralistes, petits hussards de la République montant au front du Covid-19, sans armes et épuisés ?

Si vous voulez, vous pouvez l’appeler, il vous expliquera. Je vous donnerai son numéro. Vous pouvez aussi me téléphoner. Ah, non, contre-ordre, renseignements pris, il refusera de vous parler, même au téléphone. Trop en colère. On le comprend, non ? D’ailleurs, dès que vous parlez à la télé, il coupe le son, puis l’image. Il dit que ça le venge un peu des coupes budgétaires… Un prêté pour un rendu.

Je vous fais suivre là des extraits des messages qu’il m’a envoyés. Pathétiques et accablants, n’est-ce pas ? 

« Localement nous sommes des petits groupes de soignants (infirmières, aides-soignants, médecins, pharmaciens) qui cherchent à relayer comme ils peuvent des alertes de terrain, des besoins ; et partager les solutions du légendaire système D français, et ce, grâce aux réseaux sociaux devenus plus efficaces que les services de L’État. Pourquoi, d’ailleurs ?

« Le gouvernement répète chaque semaine « vous serez livrés en masques, dormez en paix braves gens » ; or nous commençons seulement à en recevoir aujourd’hui (des FFP2 protecteurs ! La répétition d’un mensonge n’en fait pas une vérité. Les masques chirurgicaux sont là pour éviter de tousser sur les autres mais ils ne protègent pas, ni nous ni la population. C’est l’ironie de cette épidémie que de forcer chacun à protéger l’autre pour être protégé par les autres, et ce, dans une société individualiste où l’on monte les gens les uns contre les autres pour mieux dominer (« diviser pour régner »). Sauf que Sibeth N’Diaye, porte-parole du gouvernement nous explique que ces masques de protection ne servent finalement à rien car la populace ne saurait pas s’en servir !  Avec la communication « politicienne » du gouvernement de Monsieur Édouard Philippe (décidément « has been » … ou « has never been »), les gens croient que c’est fait, que ça y est, victoire, les masques sont arrivés, ils sont là, en nombre, partout où il faut ; et les Français découvrent stupéfaits que nous n’avons reçu nos masques de protection qu’aujourd’hui.

« Il nous faut aller à la pêche aux informations, souvent sur les réseaux sociaux, pour trouver des solutions de bricolage et de débrouille sur le terrain entre confrères. Heureusement il y a la solidarité – immense – entre soignants, et avec la population, mais la colère monte face aux annonces mensongères et face à la communication flottante sur l’efficacité et/ou la nécessité de porter des masques, des annonces à géométrie variable faites en fonction des stocks.

« Je bosse tous les jours au cabinet, seul médecin dans mon quartier central de Paris et je passe mes soirées et mes week-ends à gérer, organiser, avec mes confrères d’autres régions, « le bordel » ambiant. (Quel autre mot ? Je n’ai pas trouvé, désolé !).

« Un exemple parmi tant d’autres (nombreux, malheureusement !) : il m’a fallu consacrer une journée à envoyer des bouteilles à la mer un dimanche où je tenais debout pour trouver quelques masques protecteurs de récupération. Et on pourrait parler également des alertes sanitaires à passer, de la pêche aux informations sur les réseaux sociaux pour pallier les défaillances des services publics où les manques d’effectifs, conséquence désastreuse de la réduction drastique et irresponsable des fonctionnaires dans tous les services publics. 

« Alors Monsieur le Président, il faut favoriser la communication entre le terrain et les politiques, sortir de cette logique de la verticalité, du « top-down », dites-vous dans votre novlangue managériale, car non seulement c’est descendant (condescendant !) mais surtout à sens unique. « Pourtant, nos médias devraient être un moyen incontournable  pour lutter contre l’épidémie, pour relayer le terrain, notamment les soignants de ville, et faire connaître aux pouvoirs publics et à la population les réalités. Et les solutions concrètes mises en place.

« Malheureusement, les media préfèrent tourner en boucle, à longueur de journée, des « infos » à la gloire de l’Armée française et de la SNCF. De la propagande angélique, consternante. Pensez, il a fallu cinq jours à nos militaires pour planter une tente de trente places sur un parking ! Et le TGV qui a relayé Mulhouse à Angers et transporté cinq ou six patients – bravo, formidable ! – a eu l’honneur de la UNE des journaux télévisés pendant quatre jours. Mais rien pour les informations utiles aux Français qui crèvent.

Durant le confinement 2020 – France

« Bien sûr, il faut maintenir la publicité à la télévision, cela fait tourner l’économie. Mais le gouvernement doit aussi passer des spots sanitaires utiles (même si nous, médecins de terrain, nous devons parfois corriger des annonces contre-productives, grâce à nos alertes). Consacrons moins de temps à cette propagande qui fait l’éloge de l’action glorieuse du gouvernement, (nous évaluerons tout cela une fois la pandémie passée et en fonction des résultats) et ouvrons davantage les ondes du Service public de la radio et de la télé pour faire savoir par des messages clairs que des actions de terrain solidaires et bénévoles sont là, présents, actifs et malheureusement sans moyens pour se faire connaître.

« Pour exemple, je citerai « La Croix Rouge – qui n’a pas les moyens de faire de la pub ! Eh bien sachez qu’elle peut venir « chez vous/chez nous », oui, pour apporter de la nourriture, des médicaments, oui, oui, oui, à domicile, particulièrement pour les personnes handicapées, les invalides ou les malades isolés et confinés, notamment les malades frappés par le Covid 19 et en quarantaine. Les paniers alimentaires sont payants mais le portage est gratuit et s’effectue par des bénévoles.

« Leur numéro national d’appel est le : 09 70 28 30 00. Un numéro qui passera le relais aux antennes locales.  Sinon n’hésitez pas à contacter votre mairie.

« Car sans portage alimentaire et sans masques, les patients contaminés non-hospitalisés doivent quitter leur quarantaine pour se nourrir, et ils ne peuvent que risquer de contaminer d’autres personnes et prolonger l’épidémie. Les pharmaciens ont reçu ordre de l’État de ne pas délivrer des masques aux malades non-hospitalisés. Une interdiction qui rappelle le Pape Jean-Paul II s’opposant à l’usage du préservatif, pourtant seul rempart contre l’épidémie de Sida. Une interdiction qui rappelle également la loi française interdisant la promotion, la publicité sur les préservatifs, jusqu’à son abrogation, heureuse mais tardive, par Michèle Barzach.

« Dans le cas précis des masques, il ne s’agit pas d’une loi mais d’une directive de votre gouvernement, vous en portez – et porterez – l’entière responsabilité. Si la santé et la vie de tous les citoyens, y compris de « ceux qui ne sont rien », n’est pas un argument suffisant pour vous convaincre, pensez au moins aux conséquences sur l’économie de notre pays ; car chaque jour, chaque semaine perdus par le retard, par le report de la date de sortie du confinement est un jour, une semaine qui comptent douloureusement.

« Monsieur le Président,  vous avez le pouvoir d’agir pour que des informations importantes comme celles-ci soient relayées, car les ARS, et les organisations professionnelles de santé ne sont pas toujours très réactives, et, à leur décharge, se heurtent aux même obstacles que le terrain. L’épidémie de sida a montré à quel point la collaboration entre toutes les forces vives de la base au sommet était utile pour mettre en place une action globale.

Durant le confinement 2020 – France

« Tous ces soignants mériteraient, vous en conviendrez, non des primes, mais une revalorisation et une re-considération de leurs métiers. Et sûrement même, la Légion d’Honneur.  Notre cher médecin m’assure qu’il la refuserait (Garetta, patron du CNTS l’avait reçue, alors, non !), sauf, sauf, à ce qu’elle lui soit remise par votre successeur. Et juste pour faire plaisir à sa mère, dit-il. Lui, il s’en fout. Il est au front et fait face. Chapeau bas. Respect, n’est-ce pas ?

« Dernière nouvelle du front (justement), où tout va si vite, en ce moment : réflexion faite, la seule chose qu’il accepterait de votre part, Monsieur le Président, ce sont de profondes excuses et des regrets sincères, comme ceux qu’il avait reçus, quelque temps avant son décès, de la part de Simone Veil, Ministre de la Santé. Elle n’avait pas, en effet, pris au sérieux son alerte sur la gravité du H.I.V.

« Merci de votre soutien, de votre aide. On s’en souviendra Monsieur le Président.

« PS 1 : Nous avons délibérément laissé passer la date du premier avril pour que vous preniez pas cette lettre comme un poisson. Et si quelqu’un pouvait expliquer à Sibeth N’Diaye que le poisson d’avril, ce n’est pas toute l’année, mais juste le 1er avril, ça nous ferait des vacances.

« PS2 : Toutefois, un grand merci, Monsieur le Président, de faire revivre les Guignols de l’Info, en chair et en os, et en clair, avec une porte-parole du gouvernement, censée porter avec dignité, responsabilité, mesure et intelligence, une crise sans équivalent dans notre Histoire de France. Or, elle n’est manifestement pas à la hauteur des enjeux scientifiques et politiques. ».

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